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Sainte Radegonde :

Une sainte face au pouvoir des hommes

 

Michel FAUQUIER

 

Conférence donnée dans le cadre de la XIVe Université d’été du Carrefour d’Histoire religieuse, à Poitiers le 11 juillet 2005

 

 

Lorsqu’ayant achevé la prière qu’ils ont adressée à Dieu pour obtenir la grâce de donner naissance à une fille, les époux chrétiens se tournent l’un vers l’autre pour parachever ce qu’ils viennent d’accomplir en réfléchissant au prénom de saint qu’ils pourraient donner à leur future progéniture, ils se mettent rapidement d’accord sur le fait qu’ils ne l’appelleront pas… Radegonde ! En cela, ils sont victimes d’un jugement hâtif porté au nom d’une dissonance douloureuse à nos oreilles —qui en supportent pourtant bien d’autres —, jugement dont sont aussi victimes les Cunégonde, Etheldrède ou Ingeburge, et que ne mérite pourtant que la terrible Frédégonde dont on comprend qu’elle soit rejetée hors du champ du convenable.

Pourtant, le sens du prénom Radegonde (« femme de conseil » en langue germanique), comme sa destinée et sa qualité toutes deux exceptionnelles, devraient amener nos contemporains à réviser leur jugement, d’autant que les Modernes[1] ont posé l’hypothèse que l’expression « mens intenta ad Christum » ou « paradiso »[2]utilisée respectivement à son propos par ses deux biographes, Baudonivie moniale de Poitiers, et Venance Fortunat futur évêque de la même cité —, ait pu être, sinon la transcription, du moins la façon latine de rendre compte de son nom. Quoi qu’il en soit de cette hypothèse somme toute peu vraisemblable, cette femme de conseil que fut sainte Radegonde fut tout autant incontestablement, et ceci de l’avis même de ses contemporains les plus proches, une femme de conseil évangélique, si l’on peut dire les choses ainsi.

Ce n’est toutefois pas cet aspect qui retiendra notre attention ici, mais la façon dont une femme que l’on s’accorde à reconnaître comme sainte, a envisagé ses rapports avec les pouvoirs qui se sont imposés ou du moins affrontés à elle.

Pour cela, on commencera par rappeler à grands traits la vie de la sainte, avant de présenter une typologie des pouvoirs qu’elle a croisé sur son chemin, pour finir en montrant comment elle les a affrontés.

 

 

 

I : Une vie d’épreuves

 

 

 

Une figure fort bien connue

Si les hagiographes donnent souvent un tour merveilleux aux vies de ceux qui retiennent leur attention, nul n’a été besoin de broder en ce qui concerne sainte Radegonde, tant son existence s’apparenta à une aventure. Celle-ci est fort bien connue, car elle a donné lieu à de nombreuses relations contemporaines : on a évoqué les biographies dues d’abord à Fortunat puis à Baudonivie, qui furent tous deux très proches de la sainte. Fortunat a aussi composé des poèmes sur sainte Radegonde[3]. On doit ajouter plusieurs relations de Grégoire de Tours, lequel évoque longuement la sainte dans ses Decem libri historiarum, trivialement appelés « Histoire des Francs », ainsi que dans son Gloria Confessorum où une notice (104 ou 106 selon la collection retenue) est consacrée aux funérailles de sainte Radegonde. Un passage du Gloria Martyrum (4), dû au même auteur, ne concerne que la sainte Croix dont sainte Radegonde fit venir un important fragment d’Orient en Gaule, grâce aux relations qu’elle possédait à la cour de Constantinople[4]. À cet ensemble déjà conséquent, s’ajoute une supplique testamentaire adressée par la sainte à des évêques, vraisemblablement entre 573 et 587[5], ainsi qu’une lettre adressée avant 573 à sainte Radegonde par un groupe d’évêques (dont saint Germain, celui de Paris)[6] et une autre lettre adressée entre 542 et 561[7] par l’abbesse de Saint-Jean d’Arles, Césarie, à Richilde et Radegonde. Cette dernière source, qui pose des problèmes d’autenticité, ne renseigne toutefois qu’indirectement sur sainte Radegonde et ne concerne pas notre sujet[8]. Ainsi donc, à une femme exceptionnelle correspond un corpus de textes exceptionnel par sa qualité et son étendue.

 

Une vie marquée par le drame

« Exceptionnelle » n’est vraiment pas un adjectif galvaudé pour qualifier la vie de sainte Radegonde, mais il faudrait ajouter qu’elle fut aussi dramatique : née vers 520[9], sa vie fut très tôt marquée par la violence masculine, car, si on en croit Grégoire de Tours[10], son oncle Hermenefrid aurait assassiné son père Berthaire, roi de Thuringe[11]. L’ascendance de la sainte est quelque peu brumeuse et a donné lieu à toutes sortes de reconstructions, la tradition en faisant une nièce de Clovis par alliance, ce qui n’est pas absolument assuré, tout en n’étant pas totalement exclu : toujours est-il que sainte Radegonde fut rapidement orpheline, au moins de père, et il n’est pas invraisemblable que cela ait été le résultat d’un de ces multiples règlements de comptes dont les peuplades d’origine germanique donnaient alors le spectacle affligeant, preuve, s’il en était besoin, que la christianisation est une œuvre de longue haleine dont la déconstruction est plus facile que la construction.

Après le meurtre, c’est la guerre qui fait irruption dans la vie de sainte Radegonde, laquelle en est la victime indirecte : Thierry, fils aîné du roi franc Clovis, entreprit en effet de faire la guerre à Hermenefrid. Comme explication de ce fait mal éclairé, la tradition évoque la mauvaise foi supposée proverbiale des Thuringiens, que les Francs auraient voulu punir. Toujours est-il que les Francs vainquirent les Thuringiens en 531 à Scithingi[12], ramenant chez eux la jeune Radegonde et un de ses frères, parmi de nombreux captifs. Là-dessus, s’éleva une discussion que l’on peut sans mal qualifier d’homérique, entre Thierry et son frère cadet Clotaire, ce dernier voulant recevoir la jeune enfant pour butin. Ayant eu gain de cause, Clotaire emmena sainte Radegonde dans son royaume de Soissons avec l’intention de l’épouser après avoir veillé à son éducation, et ceci alors qu’il était déjà marié avec une certaine Ingonde et avait pour concubine la propre sœur d’Ingonde, Aregonde !

Sainte Radegonde fut dirigée vers la villa royale d’Athies en Vermandois où elle reçut une éducation fort complète puisque celle-ci comporta même l’apprentissage de la lecture et de l’écriture, fait rarissimme à l’époque pour une femme, même de ce rang. Ce n’est qu’après la mort de la reine Ingonde, en 535 ou 536, que sainte Radegonde fut épousée par Clotaire à Soissons, et ceci après que la jeune fille eût tenté de fuir pour éviter ce mariage. Malgré tout, il fut consommé, bien que des textes liturgiques tardifs saluent sainte Radegonde du titre de « virgo », et qu’on ne lui connaisse pas de descendance : cependant, Clotaire dut consommer avec modération, car on se plaignait dans son entourage qu’il « eût épousé plutôt une nonne qu’une reine », selon le mot célèbre rapporté par Fortunat[13]. Baudonivie ne dit rien d’autre en écrivant que « sous l’habit séculier elle était un modèle de vie consacrée »[14].

Semble-t-il plutôt respectueux envers sa nouvelle épouse, Clotaire ne devait toutefois pas lui éviter le chagrin, ayant commandité l’assassinat du frère qui l’avait accompagné dans sa captivité, et ceci pour des raisons mal éclairées[15]. Fortunat (Vita Ia, 12) et Grégoire de Tours (Historia, 3, 7) s’accordent pour lier à ce nouveau drame la volonté de sainte Radegonde de se retirer du monde : on l’aurait compris à moins, mais il ne faut pas se tromper sur les motivations de cette décision dont on sait qu’elle avait été mûrement réfléchie, ce dont témoignent largement ses biographes[16].

 

Des rois de la terre au Roi du ciel

À une date discutée[17], et sous une forme qui ne l’est pas moins[18], sainte Radegonde reçut une bénédiction du saint évêque de Noyon, Médard, vers lequel elle s’était tournée. Elle se dirigea alors vers Tours pour venir vénérer le tombeau de saint Martin auprès duquel, une autre reine, Clotilde, avait fini ses jours. À Tours, sainte Radegonde fonda un monastère masculin, avant de reprendre son périple en passant par Candes, où saint Martin était mort, ainsi que par Chinon où vivait un reclus du nom de Jean. Elle s’arrêta alors à Saix, une villa que Clotaire lui avait offerte en douaire[19], et qui se situait aux confins du Poitou et de la Touraine.

Clotaire ayant menacé de la ramener à lui, sainte Radegonde, estima que son refuge de Saix n’était pas assez sûr et s’installa à Poitiers, à proximité du tombeau d’un saint, en l’occurrence celui de l’évêque Hilaire, à l’intérieur des remparts : ce dernier détail ne doit pas tromper et faire croire que les remparts humains aient pu apparaître à la sainte comme une meilleure sécurité que celle offerte par le rempart spirituel que constituait le corps de saint Hilaire. En effet, Poitiers ressortissait à l’autorité de Clotaire depuis la mort de son frère aîné Clodomir (524), et il aurait donc pu y entrer en maître à sa guise. C’est d’ailleurs le roi qui céda à son ancienne épouse le terrain où celle-ci fit construire un monastère[20]. Ce monastère devait accueillir deux-cents moniales du vivant de la sainte, laquelle refusa l’honneur de l’abbatiat préférant y faire élir une moniale du nom d’Agnès dont elle se sentait très proche[21].

Une ultime fois, sous le prétexte d’effectuer un pèlerinage expiatoire au tombeau de saint Martin de Tours[22], Clotaire envisagea de récupérer son épouse. Cette fois, sainte Radegonde passa par l’entremise du saint évêque de Paris, Germain, qui faisait partie de la suite royale et qui réussit à convaincre le roi de renoncer à son projet. Désormais, la sainte devait mener une vie de recluse, ne franchissant que deux fois la cloture où elle était entrée après l’achèvement des bâtiments claustraux : la première fois, ce fut pour se rendre en Arles, afin d’expérimenter la règle que le saint évêque Césaire avait composée pour les moniales locales ; la seconde fois, ce fut au lendemain de sa mort — survenue un matin du mercredi[23] 13 août 587 —, le corps de la sainte étant porté en terre dans une basilique où elle avait installé une communauté de prêtres servant de chapelains à son monastère urbain[24].

 

 

 

Des oppositions variées

 

 

 

Une femme face à son mari

Si Clotaire choisit son épouse, l’inverse n’est pas vrai, pour des raisons qui tinrent plus aux circonstances qu’aux pratiques du temps. Sainte Radegonde fut en effet l’objet d’un débat passionné, comme le fut sous les murs de Troie la belle Briseis, enlevée à Achille par la volonté d’Agamemnon. À vrai dire, vu le très jeune âge de l’intéressée, c’est plus son rang que la beauté qu’on lui prêtait qui peut expliquer le différent qui opposa Thierry à Clotaire[25] : en effet, depuis l’Antiquité, c’est du statut de la femme dont découlait la conditio des enfants[26], sans compter que, pour un Franc, épouser une femme est une promesse dont le visage n’est pas seulement celui des enfants à naître. C’est bien ce qui est arrivé, car sainte Radegonde n’a pas donné de descendance à son mari, mais ayant attaché son nom au sien, elle lui a apporté ce surcroît de renommée qui lui manquait, seule part dont le temps n’a pas eu raison[27] : car qui se souvient de Clotaire et qui a oublié Radegonde ?

Est-ce le désir de s’attacher plus solidement cette renommée, celui de satisfaire à de basses pulsions, ou au contraire des sentiments plus élevés, qui poussèrent Clotaire à tenter de remettre la main sur son épouse ? à en croire Baudonivie, c’est la dernière hypothèse qui serait la bonne puisque elle estime que le roi « ne désirait plus vivre s’il ne pouvait la reprendre »[28]. Toutefois… le fait est qu’il a survécu à ce brusque accès de romantisme avant la lettre qui ne concorde guère avec ce que nous savons par ailleurs de Clotaire. Effectuant un parallèle, Baudonivie dit que sainte Radegonde « désirait plutôt achever sa vie que d’être à nouveau liée à un roi terrestre »[29] : mais le parallèle devient ici une symétrie, car la reine, elle, sembla assez décidée pour amener son époux à renoncer une première fois à son projet, à défaut de le convertir[30].

 

Une reine face aux rois

Sainte Radegonde ne s’est pas opposée qu’aux visées conjugales de Clotaire, mais aussi à certaines de ses décisions. C’est ainsi qu’elle obtint de Clotaire qu’il épargnât la peine capitale à des condamnés (Vita Ia, 10), ou libérât des prisonniers (Ibid., 11 ; Vita IIa, 1). On peut aussi se demander comment Clotaire accueillit la nouvelle d’un effet du zèle de son épouse, laquelle entreprit de mettre le feu à un temple païen révéré par des Francs[31] qui n’étaient manifestement pas de ceux qui avaient suivi Clovis dans les fonts baptismaux. Ces libérations et ce zèle, relèvent évidemment du genre hagiographique, en ce sens que les auteurs de Vitae ne manquent jamais de les signaler, mais il n’y a aucune raison valable de douter de leur réalité, d’autant moins quand il s’agit d’une reine qui ajoute au prestige de sa sainteté celui de son rang.

La décision de rompre avec la vie séculière, après que Clotaire eût fait assassiner son frère, procède certainement chez sainte Radegonde de la même volonté de marquer qu’il y a des limites au pouvoir royal, le fait que cette décision ait été murie de longue date n’étant pas incompatible avec cette interprétation. Cela n’empêcha pas sainte Radegonde de montrer une indéfectible déférence envers Clotaire, qu’elle qualifia de « très excellent maître et roi »[32] dans la lettre qu’elle adressa aux évêques. Mots convenus qui ne seraient que la traduction de la même retenue observée par les biographes de la sainte ? dans une perspective moderne certainement, mais dans une perspective mystique, le sens en est tout différent, le désir de mettre en avant ce qui grandit l’autre, comme le souci de son salut prenant le pas sur toute autre considération[33].

C’est la même attitude, faite d’un mélange de fermeté et de charité, que sainte Radegonde montra envers les fils de Clotaire, sans faire de différence entre eux[34], et étant seulement motivée par le « salut de la patrie »[35]. Il faut dire que les conflits incessants entre rois francs ne connurent pas de pose tant que sainte Radegonde fut recluse. Se refusant à franchir les murs de sa clôture elle estimait cependant qu’ils ne devait pas la prémunir contre les bruits du monde, et elle multipliait les lettres aux rois dans l’espoir « qu’ils ne fîssent appel ni à la guerre ni aux armes pour régler leurs conflits »[36]. Ce ne fut pas en toute perte, si on en croit Baudonivie qui attribue aux seules interventions de la sainte le retour systématique à la paix : s’il est probable que d’autres éléments ont dû avoir un rôle, force est de constater que les démarches de sainte Radegonde restèrent rarement sans effet, le plus spectaculaire de ces effets étant celui opéré sur l’empereur Justin II (565-578) qui devait céder à ses instances en lui faisant parvenir un morceau de la sainte Croix, alors qu’elle n’avait rien d’autre à offrir en échange que ses prières[37] ! Il n’est pas sans intérêt de noter que cette demande est liée par Baudonivie à la volonté d’assurer le « salut de la patrie tout entière et la stabilité du royaume »[38], nouvelle preuve que sainte Radegonde avait peut-être la tête dans le ciel mais les pieds sur la terre.

En fait si sainte Radegonde maintint un parfait équilibre, c’est bien parce qu’elle distinguait clairement les deux ordres, d’où son intransigeance à faire respecter la clôture monastique qu’au moins une fois, un roi envisagea de violer : il s’agissait de Chilpéric (dernier né de Clotaire) qui voulut contraindre sa fille puînée à quitter le monastère[39] où il l’avait placée, pour la donner en mariage à un prince wisigoth[40]. C’est peut-être à cette occasion que sainte Radegonde se tourna vers les évêques pour obtenir leur appui sur ce point de discipline : après avoir rappelé par une formule byzantine que les filles agrégées au monastère de Poitiers « doivent garder de manière inviolable ce à quoi, l’ayant examiné, elles ont engagées leur âme une fois pour toute et de leur plein gré »[41], les évêques déclaraient plus clairement qu’une moniale « agrégée au monastère »[42] et le quittant pour se marier, ainsi que l’homme qui l’aurait épousé, seraient considérés comme adultères et sacrilèges[43].

 

 

 

Une chrétienne face aux évêques

Sainte Radegonde semblait d’ailleurs plutôt prédisposée à avoir de bons rapports avec les évêques, elle dont Fortunat dit que, lorsqu’elle était visitée par l’un d’entre-eux « elle se réjouissait à sa vue »[44], et qui aimait aussi recevoir des prêtres à sa table[45]. Un évêque aussi prestigieux que saint Germain de Paris, n’hésita pas une seconde à soutenir sainte Radegonde contre Clotaire, et, venu à Poitiers implorer le pardon pour le roi, il alla jusqu’à se prosterner aux pieds de la sainte[46]. De même, dans leur réponse à la sainte, les évêques ne tarissent pas d’éloge à l’égard de celle qui est déjà incontestablement une sainte à leurs yeux et dont ils chantent la qualité de l’exemple, la profondeur de la foi et le don de toucher les âmes.

Malgré cela, les relations entre la sainte et les évêques furent loin d’être toujours simples. Ainsi, saint Médard, évêque de Noyon, se serait manifestement passé du problème que vint lui poser sainte Radegonde, et qui l’obligea à choisir entre trois respects : celui des règles canoniques, celui de la volonté royale et celui du projet de la reine. Si saint Médard n’est pas saint Thomas Becket, le chapitre 12 de la Vita Ia évoque par avance un certain Murder in the Cathedral dont Thomas Stearns Eliot s’est fait l’interprête à l’époque contemporaine (1935). Fortunat dit bien qu’il ne fallut rien moins qu’un « tonitruo » (tonnerre), celui de la « contestatio » (adjuration) de sainte Radegonde, pour délier un nœud bien complexe. Qu’on ne croit pas qu’il s’agisse là d’une colère exprimant un caprice : le « contestatio » utilisé par Fortunat, est bâti sur le latin « testatio » qui désigne une prise à témoin, et il n’y a aucun doute que le témoin convoqué par la sainte n’était rien moins que Dieu, ce que prouve amplement la phrase qui précède : « Si tu devais différer ma consécration et craindre davantage un homme que Dieu, de ta main, le Pasteur demanderait compte de l’âme de la brebis »[47].

Cette affaire n’est toutefois rien à côté de celle qui allait agiter Poitiers jusqu’à la mort de sainte Radegonde, à propos de la réception de la sainte Croix. Pour une raison inexpliquée, l’évêque du lieu, un certain Marovée, semble, sinon avoir toujours été opposé à ce projet[48], du moins avoir changé d’avis[49]. Baudonivie, qui cherche manifestement à épargner l’autorité épiscopale, préférait évoquer une origine diabolique et faire allusion à un groupe d’opposants désigné par des périphrases plus ou moins aimables qui ne permettent pas d’identifier ses membres, sauf à les confondre avec ces « magistrats et juges »[50] auxquels la moniale fait allusion, bien qu’il s’agisse probablement d’une image[51]. Si elle ménage la fonction, Baudonivie laisse transparaître ses sentiments envers l’homme, et Marovée est le seul évêque qu’elle ne gratifie pas de l’inévitable « vir apostolicus »[52] (passim). À vrai dire, le pauvre Marovée semble avoir fait l’unanimité contre lui, y compris chez ses clercs[53]. Ainsi, Grégoire de Tours, le gratifie d’un « frère »[54], qui sonne comme notre « cher confrère » contemporain, dont on sait combien de franches inimitiés il sert à masquer. Dans un autre ouvrage, le même auteur ne fait d’ailleurs pas mystère de sa totale réprobation, quand il dit que les moniales poitevines « se mirent sous la protection du roi, parce qu’elles n’avaient pu trouver aucun souci de leur défense en celui chez qui elles auraient dû le trouver naturellement, lequel aurait dû être leur pasteur »[55]. Finalement, l’évêque de Tours est beaucoup plus sévère que la moniale de Poitiers, même si c’est toujours de façon induite. Ainsi, quand il décrit la réaction de Marovée à l’annonce de l’arrivée de la sainte Croix, il précise que ce dernier s’enfuit à cheval[56] : sans en avoir l’air, cette précision est peut-être lourde de sens, ce type de réaction étant habituellement prêtée aux démons dans la littérature hagiographique ! De même, quand il achève son récit en disant que « depuis lors l’opposition enfla de jour en jour »[57] entre un évêque de Poitiers contesté et une moniale dont la fama sanctitatis n’était plus à faire, que faut-il en conclure ? Enfin, alors que Baudonivie se contente de mentionner l’absence de Marovée aux funérailles de sainte Radegonde[58], Grégoire de Tours précise qu’ « il s’est éloigné pour visiter ses paroisses »[59]. On aura remarqué le verbe utilisé : l’évêque n’a pas été retenu ou appelé, il s’est éloigné ! Le morceau de bravoure qui suit, par lequel Grégoire de Tours proteste de son respect de l’autorité tout en étant contraint d’agir contre, est un lieu commun que l’on retrouve dans bien des Vies de saints, et qui, en particulier, évoque le passage consacré par Fortunat à saint Médard dans la Vita Ia (cf. supra).


 

 

 

 

Une attitude exemplaire

 

 

 

Une virago

La lecture des récits et biographies consacrés à sainte Radegonde laissent la curieuse impression d’une femme à laquelle on a souvent recours mais qui parle peu, moins qu’elle n’écrit en tous cas. À vrai dire, cela ne devrait pas surprendre chez celle dont les mêmes témoignages soulignent l’intériorité et qui s’est ingéniée à ne pas se mettre en avant. Cette intériorité rayonne en une force qui s’impose à l’entourage de la sainte : dès son prologue, Fortunat oppose la force d’âme de sainte Radegonde à sa faiblesse de constitution, reprenant le thème antique de la virago[60]. Cette force est manifestement un trait caractéristique de la sainte, dont Fortunat dit qu’elle la possède en propre plus que par héritage[61], et ceci dès son enfance[62].

C’est le pouvoir des vrais forts que de transformer le comportement des puissants : il y a du Pilate face au Christ dans les tentatives répétées et à chaque fois manquées de Clotaire pour rappeler son pouvoir à son épouse. D’ailleurs, si sainte Radegonde eut à souffrir tant qu’elle fut à la cour, c’est apparemment plus de l’entourage du roi[63] que de celui-ci. Confondant certainement la tendresse avec l’empressement, Clotaire couvrit en effet son épouse de cadeaux dont les mentions directes ou indirectes scandent le discours de ses biographes et culminent dans le don du territoire nécessaire à la construction des établissement poitevins : dans la lettre qu’elle adresse aux évêques, sainte Radegonde présente d’ailleurs Clotaire comme celui qui a « institué » son monastère[64].

Il fallait toutefois s’attendre à ce que les engagements pris fussent mollement respectés, en particulier une fois Clotaire mort, car ses successeurs auraient pu arguer que les dons faits par son mari à sainte Radegonde lui étaient destinés en propre, et qu’il n’était pas prévu que la reine les destinât à son monastère. À vrai dire, c’était peu probable, sainte Radegonde étant pour ainsi dire révérée par les fils de Clotaire. Pourtant, dans la lettre qu’elle adressa aux évêques, elle insista lourdement sur le fait que sa décision de léguer ses biens à son monastère le fut « en vertu d’une permission découlant d’ordres » donnés par Clotaire[65] et confirmés « par des diplômes de (…) Charibert, Gontran, Chilpéric et Sigebert qu’accompagnait une prestation de serment et qu’ils ont souscrits de leurs mains »[66]. Il était difficile de prendre plus de précautions… sans compter que la sainte y ajouta la menace de l’excommunication, celles de l’intervention des saints Hilaire et Martin et celle de Dieu lui-même !

 

Un miroir des vertus

Un autre trait frappant de la vie de sainte Radegonde est son application presque obsessionnelle a « s’anéantir, en prenant forme d’esclave », comme saint Paul le dit du Christ dans son épître aux Philippiens (2, 6) dont Baudonivie s’inspire manifestement en disant que sainte Radegonde vécut « ne se réservant rien de ses propres droits »[67] : c’est, sinon les mots, du moins l’idée qui est exprimée dans l’hymne au Philippiens (Ibid.[68]) chantée lors de l’office vespéral monastique du dimanche et que Baudonivie a donc eu le temps de ruminer. Les images évangéliques, sinon christiques, émaillent d’ailleurs les biographies de sainte Radegonde : lavement des pieds (Vita IIa, 10), soin donné aux corps ravagés comme celui du Samaritain laissé sur la bord de la route (Vita Ia, 2, 4 & 17), inquiétude qu’un repas soit servi aux affamés (Vita Ia, 4 ; Vita IIa, 1), tempête appaisée (Vita IIa, 17), service de la table (Vita Ia, 17), et pleurs versés sur une morte qu’elle rappelle à la vie sur le modèle du Christ pleurant Lazare (Vita Ia, 37). Fortunat dit d’ailleurs explicitement qu’elle agit « comme dans l’évangile (…) à la façon d’une nouvelle Marthe »[69] et Baudonivie la compare à Marie de Magdala[70].

D’autres réminiscences sont liées à des figures de saints : comme saint Martin, sainte Radegonde, qui a péleriné sur les traces de son prédécesseur (cf. supra), cherche à « couvrir sous l’habit du pauvre les membres du Christ »[71], embrasse les lépreux « sur le visage »[72], et la vision de la mort de sainte Radegonde par le tribun du fisc Domolenus évoque une vision de la mort de saint Martin par Sulpice Sévère (Epistulae, 2, 1-6)[73], sans compter que le souci de la patrie dont fait preuve sainte Radegonde s’apparente aux rôles de protection et de maintien de l’unité attribués à saint Martin[74]. D’autres images encore ont peut-être une origine martinienne, mais trouvent une inspiration plus directe dans la Vita Caesarii — dont plusieurs passages sont copiés par Baudonivie[75] — et la Vita Germani — dont s’inspire largement Fortunat[76]. Parfois, les références sont explicites : ainsi Grégoire de Tours (Glor. mart., 5) et Baudonivie citent sainte Hélène (Vita IIa, 16), au point que le chanoine étienne Delaruelle a même défendu l’idée que la moniale poitevine aurait bâti son récit sur le modèle de la vie de sainte Hélène[77] ; quant à Fortunat, il dit que « à la manière de saint Germain [d’Auxerre], elle [sainte Radegonde] peina sur la meule »[78], et opéra ce qu’il appelle joliment un « miracle à l’ancienne (…) à la manière du bienheureux Martin »[79]. Enfin, les évêques qui écrivirent à sainte Radegonde la comparèrent tout aussi explicitement à son prestigieux prédécesseur, lequel avait ouvert la voie d’une sainteté non issue du martyre de sang[80]. Mieux même, ils semblèrent dire que sainte Radegonde avait une supériorité sur saint Martin, celle d’une noblesse naturelle, laquelle, rappellèrent-ils, « faisait défaut »[81] à ce dernier !

De tels compliments ne devaient pas tourner la tête à sainte Radegonde, dont Baudonivie ne cesse de rappeler qu’elle n’attacha aucune importance aux honneurs, au point « d’oublier qu’elle avait eu un lien avec un roi »[82], et de refuser de diriger l’abbaye qu’elle avait fondée. La moniale donne ensuite le portrait moral d’une femme dont elle dit qu’elle possédait « la modestie jointe à la discrétion, la sagesse à la simplicité, la sévérité à la douceur, la science à l’humilité, enfin une vie immaculée, une vie irrépréhensible, une vie toujours égale à elle-même »[83]. Alors ? lieux communs ou, comme conclut Jacques Le GOFF à propos de la figure de Saint Louis, personnalité exceptionnelle qui met réellement en œuvre ce qui chez d’autres ne serait que lieux communs ? Poser la question s’est y répondre et on n’y ajoutera pas, à la suite de l’illustre médiéviste, l’ironique question de savoir si sainte Radegonde a existé[84] !

 

La source d’un pouvoir

À vrai dire, on pourrait se demander le rapport qu’il y a entre tout ceci et la question du pouvoir : eh bien, c’est précisément de cet anéantissement que surgit le pouvoir, non seulement naturel mais aussi surnaturel, de sainte Radegonde. Ainsi, ce Clotaire qui méprise la vie de ses adversaires et est « très rétif à faire le bien » selon les mots mêmes de Fortunat[85], obéit-il servilement à ce qui le dépasse, et, s’il y a une évidence sur laquelle insistent les récits, c’est bien que l’épouse dépasse le mari. Disons plus précisément, que la sainteté de Radegonde dépasse la royauté de Clotaire : car c’est bien de cela dont il s’agit, pour lequel les Grecs anciens avaient le mot de « q£mboj », qui exprimait la crainte révérentielle de l’homme face au divin. Nul ne l’a mieux rendu que Baudonivie quand elle décrit la réaction du roi après que saint Germain de Paris lui eût promis la colère divine s’il n’abandonnait pas son projet de reprendre son épouse : il dit que le roi « se prosterna (…) sur le seuil de Saint-Martin, aux pieds de l’homme apostolique Germain »[86]. On aura noté le renfort implicite de l’ « apôtre des Gaules », compagnon inséparable du pèlerinage terrestre de la sainte poitevine. On voit aussi à quelle lutte contre sa nature, sainte Radegonde contraignit son époux, lui dont les biographes de la sainte cachent mal les emportements, en les minimisant par les termes de « disputes »[87], ou « péchés de la langue »[88]… dont on imagine sans peine la forme qu’ils ont pu prendre !

C’est ce pouvoir qui dresse un mur, plus solide qu’une clôture ou les remparts de Poitiers, et qui signifie la limite imposée au pouvoir des hommes, comme le corps des saints fait reculer les adversaires de la cité qui tentent d’en escalader les remparts. Ce mur de la sainteté trace la frontière entre deux cités, l’une déjà orientée vers l’éternité, et l’autre engluée dans les affaires du temps. On aura reconnu le thème dont Saint Augustin a fait la trame de son De civitate Dei : « deux amours ont bâti deux cités : l’amour de soi jusqu’au mépris de Dieu, la cité terrestre, l’amour de dieu jusqu’au mépris de soi, la cité céleste. L’une se glorifie en elle-même, l’autre dans le Seigneur » (14, 28). Mais on sait que l’on peut mal comprendre le sens du mot « mépris », et prolongeant une intuition de Claudio LEONARDI[89], Marta Cristiani[90] a voulu voir une différence radicale entre la façon dont Fortunat et Baudonivie auraient envisagé la question de la coupure du monde : selon elle, le premier, largement imprégné du modèle martinien, aurait privilégié le thème du dégoût du monde jusqu’à vouloir exprimer le « mépris de la corporéité » à travers le baiser au lépreux, alors que la seconde aurait au contraire insisté sur l’épanouissement d’une femme dans le cadre monastique, offrant ainsi un modèle concurrent de celui du saint évêque. S’il reste évident que les approches des deux biographes sont très différentes, il n’en reste pas moins qu’ils rapportent des faits et pas seulement des jugements, même si le tri opéré dans les faits peut évidemment infléchir le portrait ainsi dressé : cette limite, souvent attribuée en propre aux écrits hagiographiques n’est pourtant qu’une limite intrinsèque à toute approche historique. Mais il reste que pour ce qui concerne le baiser au lépreux, le texte de Fortunat veut manifestement exprimer l’élan de la charité et rien d’autre, certainement pas le dégoût ou le mépris du corps[91].

 

 

 


 

Éprouvée dans sa vie et ceci depuis sa plus tendre enfance jusqu’à la veille de voir son vœu le plus cher se réaliser — celui d’accueillir la sainte Croix —, ayant rencontré des oppositions multiples et aussi inattendue que celle de son propre évêque, sainte Radegonde donne l’impression d’avoir traversé son époque en restant presque immuable sinon quand l’angoisse de se voir détournée de sa vocation l’envahissait.

Cela est certainement déroutant pour nos esprits contemporains, qui imaginent facilement que les rapports avec les pouvoirs ne peuvent relever que du politique et donc du calcul. Ce calcul, la vie de sainte Radegonde en est exempte, et on ne trouve chez elle ni la féministe s’affirmant face à son mari, ni la révolutionnaire se dressant contre son roi, ni la militante s’opposant à son évêque. D’aucuns y verront l’effet du genre hagiographique, mais il paraît beaucoup plus assuré que l’attitude de sainte Radegonde relève de ce que Michel ROUCHE a appelé une « politique de la mystique » selon laquelle les affaires de la terre cède devant celles du ciel[92].

Malgré tous les avantages qu’elles purent retirer de la présence d’une reine dans leurs rangs, et même à leur tête, ce n’est pas cela qui a fait dire aux moniales poitevines enterrant sainte Radegonde : « ce lieu est d’une dimension étroite puisque nous ne mériterons plus d’y contempler ton visage »[93]. Ces mots se disent de la perte d’un ami, pas d’une rente de situation. Puissions-nous mériter qu’on en dise autant de nous au seuil de notre vie : c’est le vœu que je forme pour chacun de nous.

 

 

 

M. Michel FAUQUIER
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Bibliographie

 

Abréviations

MGH : Monumenta Germaniae Historica.

Auct. ant.  : Auctores Antiquissimi, 4, 1, Frederick Leo éd., Berlin, 1881.

Scr. rer. mer.  : Scriptores Rerum Merovingicarum

1, 1, 3ème éd. rev. et corr., Bruno Krusch & Wilhelm Levison éd., Hanovre, 1993.

1, 2, réed., Bruno Krusch éd., Hanovre, 1969.

2, Bruno Krusch éd., Hanovre, 1888.

SC : collection « Sources chrétiennes » (Paris, Le Cerf).

 

Sources

Baudonivia, De Miraculis sanctae Radegundis virginae et de Vita Beatae Radegundis (M.G.H., Scr. rer. mer., 2, p. 377-395 : traduction française in Yvonne Labande-Mailfert, Traduction de la Vie de sainte Radegonde par la moniale Baudonivie, Lettre de Ligugé, 239, 1987, p. 9-32). (= Vita IIa).

Caesaria, Epistula Dominabus Sanctis Richildae et Radegundi, Césaire d’Arles, Œuvres monastiques, 1 : Œuvres pour les moniales, Dom Adalbert de Vogüé éd., SC, 345, Paris, 1988, p. 476-495 (= Epistula Radegundi).

Epistula ad filiam Radegundam (MGH, scr. rer. merov., 1, 1, p. 460-463 : traduction française la plus récente in Grégoire de Tours, Histoire des Francs, Robert Latouche éd., coll. « Les classiques de l’histoire de France au Moyen Âge », Paris, 1995, p. 236-239). (= Epistula ad Radegundam)

Gregorius episcopus Turonensis, Historiarum libri X (MGH, scr. rer. merov., 1, 1 : traduction française la plus récente, Grégoire de Tours, Histoire des Francs, Robert Latouche éd., coll. « Les classiques de l’histoire de France au Moyen Âge », Paris, 1995). (= Historia)

Id., Gloria confessorum, 104 (106) (M.G.H., Scr. rer. mer., 1, 2, p. 814-816 : traduction française in Grégoire de Tours, Œuvres complètes, 5 : Vie des Pères, Gloire des Confesseurs, coll. « Sources de l’histoire de France », Henri-Léonard Bordier & Nathalie Desgrugillers éd., s. l. (Clermont-Ferrand), 2003, p. 319-323). (= Glor. conf.)

Id., Gloria martyrum, 5 (M.G.H., Scr. rer. mer., 1, 2 p. 39-42 : traduction française in Grégoire de Tours, Œuvres complètes, 4 : Le Livre des Martyrs, coll. « Sources de l’histoire de France », Henri-Léonard Bordier & Nathalie Desgrugillers éd., s. l. (Clermont-Ferrand), 2003, p. 12-14). (= Glor. mart.)

Radegundis (Regina), Epistula ad omnes episcopos (MGH, scr. rer. merov., 1, 1, p. 470-474 : traduction française la plus récente in Grégoire de Tours, Histoire des Francs, Robert Latouche éd., coll. « Les classiques de l’histoire de France au Moyen Âge », Paris, 1995, p. 246-251). (= Epistula Radegundis)

Venantius Fortunatus, Vita sanctae Radegundis reginae (M.G.H., Scr. rer. mer., 2, p. 364-377 : traduction française la plus récente in La Vie de sainte Radegonde, Poitiers, Bibliothèque municipale, manuscrit 250 (136), Robert Favreau éd., Paris, 1995). (= Vita Ia)


[1] MGH, Scr. rer. mer., 2, p. 380, n. 1. Une liste d’abréviations non courantes et les références de l’ensemble des sources sont données à la fin de l’article.

[2] « Esprit tendu vers le Christ » ou « vers le paradis ».

[3] Carmina, 8, 5-12 (M.G.H., Auct. ant., 4, 1).

[4] Un de ses cousins Amalafrid, s’y était réfugié, et les rois francs y entretenaient des ambassades, d’ailleurs Baudonivie mentionne explicitement l’envoi d’une lettre par sainte Radegonde à Sigebert (fils de Clotaire et devenu roi), pour l’aider dans sa démarche (Vita IIa, 16). Contrairement à ce qu’on lit parfois, ce n’est pas le premier fragment de la Croix parvenu en Gaule : Sulpice Sévère (c. 360 – c. 420) et saint Avit de Vienne (c. 450 – c. 518) en avaient déjà chacun reçu un, respectivement de saint Paulin de Nole et du patriarche de Jérusalem. Avec sainte Radegonde, la nouveauté fut le culte public rendu désormais en Gaule à la relique.

[5] Yvonne Labande-Mailfert la date des environs de 585 (Les Débuts de Sainte-Croix, Histoire de l’abbaye Sainte-Croix de Poitiers, Mémoires de la Société des antiquaires de l’Ouest, 4ème sér., 29, 1986/1987, p. p. 57).

[6] Selon Dom Adalbert de Vogüé (Epistula Radegundi, p. 447-448, n. 4), elle fut vraisemblablement écrite à l’occasion du second concile réuni à Tours, le 18 novembre 567, dont trois canons portent sur la vie monastique (canons 15 à 17), et quatre sur les compétences épiscopales (canons 6 à 8 et 12). Le fait que tous les pères conciliaires n’aient pas souscrit la lettre envoyée à Radegonde, s’expliquerait, toujours selon Dom de Vogüé, soit par leur départ prématuré, soit parce qu’ils n’avaient pas de diocésaines moniales à Poitiers.

[7] Dom Adalbert de Vogüé (op. cit., p. 461) privilégie l’hypothèse d’une date après 550.

[8] Cf. le point sur la question de l’authenticité fait par Dom Adalbert de Vogüé (op. cit., p. 440-467).

[9] C’est à Peter Jörres que l’on doit d’avoir fixé la date traditionelle de 518 (Chronologische und religionwissenchaftliche Untersuchungen über das Leben der hl. Radegundis and ihrer Verwandten, Ahrweiler, 1897). De façon générale, l’historiographie s’accorde à reconnaître que sainte Radegonde était encore une enfant au moment de sa capture, ce dont témoigne sans ambiguïté Venance Fortunat qui la qualifie de « puella » (Vita Ia, 2).

[10] Historia, 3, 4.

[11] On dit parfois « Berthier » ou « Bertachar » au lieu de « Berthaire », transcription de toute façon approximative du latin « Berthacharius ». Par ailleurs, il n’entre pas dans le propos de cette communication de s’interroger sur l’emplacement exact de cette Thuringe unanimement désignée comme la terre d’origine de la sainte. Sur cette question, on se reportera avec profit aux pages qu’y a consacré le chanoine René Aigrain dans son Sainte Radegonde, 1917, réed., Parthenay, 1987, p. 1-27.

[12] Forteresse royale, actuellement Burg-Scheidungen, à l’ouest de Leipzig, sur les bords de l’Unstrutt, affluent de la Saale, laquelle se jette dans l’Elbe.

[13] Vita Ia, 5 : « habere se potius iugalem monacham quam reginam ».

[14] Vita IIa, 1 : « saeculari sub habitu religionis formabatur exemplum ».

[15] L’affaire eut lieu sur fond d’une révolte commune des Thuringiens et des Saxons en 555. On a tour à tour, évoqué une possible trahison de ce frère, ou la volonté de Clotaire de terroriser les Thuringiens par cet assassinat. Grégoire de Tours qualifie d’ « injustifié » (iniuste) cet assassinat (Historia, 3, 7).

[16] Ainsi, Fortunat la décrit « psallendo ad oratorium cum gravitate » (paslmodiant avec ferveur à l’oratoire), à un âge que le texte laisse supposer être peu avancé (Vita Ia, 2).

[17] Si la date de l’assassinat de son frère est bien 555, il y un problème évident, la date traditionnelle de la mort de saint Médard étant fixée à 545. Toutefois, le biographe de saint Médard, au IXe siècle, fait mourir ce dernier en 561, ce qui arrangerait d’autant mieux les choses que sainte Radegonde aurait alors atteint l’âge normalement requis pour recevoir la bénédiction de diaconesse, à savoir quarante ans.

[18] En dehors du fait que cette bénédiction supposait de casser le mariage contracté avec Clotaire, il semblerait que la bénédiction accordée fût celle des diaconesses, bien que les conciles gaulois aient clairement ordonné de mettre fin à cette pratique (Orange en 441, épaone en 517, Orléans II en 533) : on trouvera une synthèse sur cette question dans La Vie de sainte Radegonde, Poitiers, Bibliothèque municipale, manuscrit 250 (136), Robert Favreau éd., Paris, 1995, p. 77, n. 70. à vrai dire, les discussions érudites sur cette question font peu de cas du contexte de panique décrit par Fortunat et qui n’a pas dû être particulièrement propice à la réflexion ! Radegonde, elle, avait eut tout le temps de réfléchir et ne devait pas ignorer que le droit canon interdisait aux diaconnesses de reprendre la vie conjugale (Orléans II, 533, canon 17) : c’est certainement tout ce qu’elle cherchait (cf. La Femme au Moyen Âge, Michel Rouche & Jean Heuclin dir., Maubeuge, s. d. (1990), p. 16-17) !

[19] Le Douaire étant constitué à partir de terres royales, sa dévolution à la reine investissait cette dernière de la puissance publique, lui donnant un pouvoir sur une sorte de regnum et la faisant participer au consortium royal (Régine Le Jan, Femmes, pouvoir et société dans le haut Moyen âge, Paris, 2001, p. 76-81).

[20] À vrai dire, on ne connaît pas le nom originel de ce monastère, ni d’aucun fondé par sainte Radegonde, pour peu que ces fondations aient alors reçu un nom : le texte de Grégoire de Tours semble indiquer que non, l’évêque désignant systématiquement la fondation de la sainte par son seul emplacement (à Tours, à Poitiers). On sait toutefois par Baudonivie que « in monasterium, oratorium dominae Mariae nomini dedicatum » (dans le monastère [de Poitiers] un oratoire [était] dédié au nom de sainte Marie : Vita IIa, 7), d’où le nom de « Notre-Dame » parfois donné par les Modernes à ce monastère, dont on sait qu’il fut baptisé « Sainte-Croix » au IXe siècle (Cf. Brigitte Boissavit-Camus, Poitiers, Province ecclésiastique de Bordeaux : Aquitania secunda, Louis Morin éd., coll. « Topographie chrétienne des cités de la Gaule », 10, Paris, 1998, p. 84).

[21] L’Epistula Radegundis la qualifie de « filiae colui et eduxi » (que j’ai éduquée et élevée comme une fille).

[22] Baudonivie dit « quasi devotionis causa » (sous l’apparence de la dévotion : Vita IIa, 6).

[23] La date a retenu l’attention, Baudonivie y voyant une délicatesse divine, car sainte Radegonde avait à cœur d’entreprendre de grandes choses précisément ce jour de la semaine que la tradition attachait à la naissance du Christ.

[24] Cf., Brigitte Boissavit-Camus, op. cit., p. 87-88. Pour distinguer cette fondation de la première, les Modernes la désigne du nom de « Sainte-Marie », mais rien n’indique qu’elle ait reçue un nom du temps de la fondatrice (cf. n. 20 supra).

[25] La pulchritudo, souvent alliée à la prudentia, est souvent prêtée aux saintes reines par les sources hagiographiques, la beauté du corps rendant compte de celle de l’âme (Claire Thiellet, Femmes, reines et saintes : Ve-XIe siècles, coll. « Cultures et civilisations médiévales », 28, Paris, 2004, p. 46). Toutefois, vu l’attachement presque maladif de Clotaire pour Radegonde, il se peut que cette beauté n’ait pas été que le produit du genre littéraire.

[26] Karl-Ferdinand Werner, Les Femmes, le pouvoir et la transmission du pouvoir, La Femme au Moyen Âge, op. cit., p. 365.

[27] Régine Le Jan parle des femmes nobles comme d’un « miroir dans lequel se reflétait la famille » (Famille et pouvoir dans le monde franc, VIIe-Xe siècle : essai d’anthropologie sociale, coll. « Histoire ancienne et médiévale », 33, Paris, 2002, p. 433).

[28]Vita IIa, 4 : « et nisi eam reciperet, penitus vivere non optaret ».

[29] Ibid. : « ipsa ante optaret vitam finire, quam regi terreno iterum iungi ».

[30] Dom Jean Leclercq estime qu’à partir du Ve siècle, les saintes reines reçurent comme une mission propre celle qui était jusqu’alors le lot de toutes les épouses chrétiennes, à savoir la conversion de leur époux (Rôle et pouvoir des épouses au Moyen Âge, Femme au Moyen Âge, op. cit., p. 88)

[31] Vita IIa, 2.

[32] « praecellentissimo domno rege ».

[33] à partir d’une étude d’henri PLATELLE sur la pénitence des parricides, Michel Rouche estime que les effroyables macérations que s’infligea la sainte auraient servi à expier les fautes de son époux (La Vie de sainte Radegonde, Poitiers…, p. 244). Dans le même ouvrage (Ibid., p. 95, n. 117), Robert Favreau introduit une autre thèse qu’il présente comme contradictoire, mais qui me paraît en fait plutôt complémentaire : en s’enchaînant, sainte Radegonde aurait voulu se ravaler au rang d’esclave. Certes, mais encore faut-il expliquer pourquoi, et c’est en ce sens que les deux thèses se complètent.

[34] Vita IIa, 10 : « quia totos diligebat reges, pro omnium vita orabat » (parce qu’elle s’inquiétait de tous les rois elle priait pour la vie de tous).

[35] Ibid. : « de salute patriae curiosa » (attentive au salut de la patrie).

[36] Ibid. : « ut inter se non bella nec arma tractarent » (traduction française empruntée à Yvonne Labande-Mailfert, toutes les autres traductions sont de ma main).

[37] Vita IIa, 16.

[38] Ibid., 16 : « pro totius patriae salute et eius regni stabilitate ».

[39] Le texte ne dit pas explicitement qu’il s’agit de la fondation de sainte Radegonde, se contentant de préciser « in monasterium Pictavensi » (dans un monastère poitevin : Historia, 6, 34). Mais, sans compter qu’on ne voit pas de quel autre monastère il pourrait s’agir, on comprendrait mal l’implication personnelle de la sainte dans cette affaire (« resistente praecipue beata Radegunde » : la bienheureuse Radegonde résistant tout particulièrement, ibid.).

[40] À cause de la mort inopinée de son fils, Chilpéric, n’aurait plus voulu se séparer de sa fille aînée, et aurait imaginé de lui substituer sa puînée, Basine, à laquelle il portait manifestement moins d’affection : il faut dire qu’elle avait été violée par des serviteurs de sa seconde femme, Frédégonde ! C’est la même Basine, qui devait causer tant de trouble dans lemonastère poitevin après la mort de sainte Radegonde.

[41] « Debeant inviolabiter custodire, quod videntur libente semel animo suscepisse, quoniam contaminare non decet Christo fides caelo teste promissa ». On notera que, sans la précision qui suit, cette formule pourrait tout aussi bien s’appliquer au sacrement de mariage : discret rappel du dilemme posé naguère à saint Médard (cf. infra) ? Qui sait ! Cela expliquerait la forme contournée de cette partie de la lettre.

[42] Epistula ad Radegundam : « monastirio sociari ». L’expression suppose un engagement formel et définitif, ce qu’on appelera plus tard des « vœux ».

[43] Ibid. : « non solum ipsa quae refugit, sed etiam ille, qui ei coniunctus est, turpis adulter et potius sacrilegus quam maritus » (non seulement celle qui a fuit, mais y compris celui qui se serait uni à elle [serait considéré] comme un infâme adultère et plus encore comme un sacrilège).

[44] Vita Ia, 8 : « in aspectu eius laetificabatur ».

[45] Ibid., 18.

[46] Vita IIa, 7.

[47] « Si me consecrare distuleris et plus hominem quam Deum timueris, de manu tua, Pastor, ovis anima requiratur ».

[48] C’est ce qui semble ressortir du récit donné par Grégoire de Tours qui ne parle nullement d’un accord même implicite de Marovée à l’entreprise radegondienne. Toujours est-il que, par son absence, l’évêque rendait impossible la réception de la relique, du moins dans des conditions honorables.

[49] Version que suppose le texte Baudonivie : « et pontifex loci cum omni populo devote hoc vellet excipere » (l’évêque du lieu et tout le peuple avaient la volonté de le recevoir avec une grande piété : Vita IIa, 16).

[50] Vita IIa, 16 : « praesides et iudices ».

[51] Baudonivie fait implicitement allusion à la comparution du Christ face à ses juges, elle ne dit pas explicitement qu’un procès a eu lieu à propos de la réception de la relique.

[52] Homme apostolique.

[53] Grégoire de Tours mentionne la présence de « clericis (…) Pectavo » (clercs de Poitiers : Historia, 9, 40) lors de la cérémonie de réception de la sainte Croix, désavouant par la-même l’attitude de leur évêque.

[54] Glor. conf. : « frater noster, Maroveus, huis urbis episcopum ».

[55] Historia, 9, 40 : « reges se tuitione munierunt, scilicet quia in illum, qui pastor esse debuerat, nullam curam defensiones suae potuerant repperire ».

[56] Ibid., 9.40.

[57] Ibid.  : « ex hoc scandalum de diae in diae propagatum ».

[58] Vita IIa, 23 : « non erat ibi (…) quia vicos circuiebat » (il n’était pas là (…) car il faisait la tournée des villages).

[59] Glor. conf. : « causa visendarum parochiarum elongaverit ».

[60] Vita Ia, 1 : « Quas habentes nascendo mollitiem facit Christus robustas ex fide » (celles qui ont reçu la mollesse de leur naissance, le Christ les fait robustes par la foi) : ce thème se développe depuis les premiers récits de martyres féminins et culmine dans la Vita Genovefae (Marie-Louise Portmann, Die Darstellung der Frau in der Geschichtschreibung des früheren Mittelalters, Bâle / Stuttgart, 1958 ; Anne-Marie Helvétius, « Virgo et virago » : Réflexions sur le pouvoir du voile consacré d’après les sources hagiographiques de la Gaule du Nord, Femmes et pouvoirs des femmes à Byzance et en Occident : VIe-XIe siècle, Stéphane Lebecq et alii dir., Lille, 1999, p. 189-203).

[61] Ibid., 2 : « celsa (…) origine, multo celsior actione » (élevée par son origine, mais bien plus élevée par son action).

[62] C’est un autre thème traditionnel que celui du puer senex, qui ne vise pas à enlever par avance tout mérite au saint concerné, mais insiste sur la prédilection particulière dont il est l’objet de la part de Dieu. Claire Thiellet fait d’ailleurs remarquer que « la fréquence de ces topoi n’est pas flagrante dans les Vies de saintes reines » (op. cit., p. 52).

[63] Ibid., 2 : « ipsa est a domesticis persecutionem perpessa » (c’est de sa domesticité qu’elle endura la persécution).

[64] Epistula Radegundis : « instituante atque remunerante praecellentissimo domno rege Chlothario » (institué et soutenu financièrement par le très excellent maître et roi Clotaire).

[65] Notons une petite différence avec ce que déclare Baudonivie (Vita IIa, 5), qui dit que c’est la construction même du monastère qui fut effectuée « per ordinationem praecelsi regis Chlotarii » (sur ordre du très haut roi Clotaire) et non le changement de destination du don.

[66] Epistula Radegundis : « Chlotharius (…) ex eius praeceptiones permisso (…) Chariberthi, Guntchramni, Chilperici et Sigiberthi cum sacramenti interpositione et suarum manuum subscriptionibus obtenui confirmari ». Le droit du douaire était en cours de constitution, mais il commençait à être admis que la reine décidait de l’affection des biens de son douaire et pouvait émettre un acte de donation de ces biens, sous réserve, dans ce dernier cas, d’avoir obtenu un diplôme royal (Régine Le Jan, Femmes, pouvoir et société…, op. cit., p. 81-82).

[67] Vita IIa, 5 : « et ex proprio iure nihil sibi reservans ».

[68] « non rapinam arbitratus est esse se aequalem Deo » (ne retint pas à sa guise le fait qu’il fût l’égal de Dieu).

[69] Vita Ia, 17 : « more euangelico (…) ut nova Martha ».

[70] Vita IIa, 10 : « ad similitudinem Mariae » (comme Marie).

[71] Vita Ia, 3 : « sub inopis veste Christi membra se tegere ».

[72] Ibid., 19 : « vultum » (cf. Vita Martini, 18, 3).

[73] Le parallèle est d’autant plus tentant que Fortunat rapporte la demande adressée à Domolenus par la sainte… faire bâtir « beati Martini oratorium » (un oratoire [en l’honneur] du bienheureux Martin : Vita Ia, 38) !

[74] Luce Piétri, La Ville de Tours du IVe au VIe siècle, Paris, 1983, p. 533.

[75] Le dernier paragraphe du chapitre 15 de la Vita IIa reprend les 2, 35 et le 1, 46 de la Vita Caesarii Arelatensis ; un passage du chapitre 17, le 1, 62 ; un passage du chapitre 19, le 2, 32 & 35 ; la finale du chapitre 22, le 2, 49 ; et un passage du chapitre 24, le 2, 47. Par ailleurs, l’adoption de la Règle césairienne a assuré une influence médiate mais profonde, sinon durable (l’influence colombanienne aurait pris le relais au VIIe siècle : Claire Thiellet, op. cit., p. 79), du saint évêque d’Arles.

[76] Comme saint Germain d’Auxerre, sainte Radegonde sert les pauvres à table alors qu’elle est à jeun (Vita Germani 1, 5 que l’on retrouve dans Vita Ia, 17), se nourrit de façon misérable (1, 3 que l’on retrouve dans 22), n’a qu’un cilice sur des cendres pour couche (1, 4 que l’on retrouve dans 22), ramène un mort à la vie selon un mode comparable (7, 38 que l’on retrouve dans 37), et son intercession sauve des matelots d’un naufrage (3, 13 que l’on retrouve dans 31), sa sainteté éclatant jusque dans les plus petites choses (2, 11 que l’on retrouve dans 30).

[77] Chanoine étienne Delaruelle, Sainte Radegonde, son type de sainteté et la chrétienté de son temps, coll. « études mérovingiennes », 1953, p. 65-74.

[78] Vita Ia, 16 : « more sancti Germani (…) molam (…) dispensavit » (cf. Vita Germani, 1, 3).

[79] Ibid., 37 : « more beati Martini antiqui norma miraculi ». En l’occurrence, sainte Radegonde rendit la vie à une morte.

[80] De manière amusante, les évêques expliquaient cette égale sainteté des deux figures de Martin et Radegonde par le fait qu’ils seraient provenus de la même région… approximation à la fois logique et géographique (Epistula ad Radegundam) !

[81] Epistula ad Radegundam : « gradus nihil subtrahit ». On sait combien cette question de la noblesse du saint moine avait été débattue au moment de son élection au siège de Tours, et, à l’époque, tout le monde ne s’était pas rendu à l’argument rappelé ici par les évêques, à savoir que saint Martin « suppletum est in mercede » (y avait suppléé par son prestige).

[82] Vita IIa, 8 : « regem coniugem se habuisse nec reminisceretur ».

[83] Ibid., 9 : « modestia cum verecundia, sapientia cum simplicitate, severitas cum mansuetudine, doctrina cum humilitate, vita denique immaculata, vita inreprehensibilis, vita sibimet semper aequalis ».

[84] Jacques le Goff, Le Roi des lieux communs : Saint Louis a-t-il existé ?, Saint Louis, coll. « Bibliothèque des histoires », NRF-Gallimard, Paris, 1996, p. 461-472.

[85] Vita Ia, 5 : « pro bonis erat asperrimus ».

[86] Vita IIa, 7 : « prosternit se (…) ante limina sancti Martini pedibus apostolici viri Germani ».

[87]Vita Ia, 7 : « rixas ». Le mot latin, a aussi le sens de « combat », c’est d’ailleurs ce sens qu’a pris le français « rixe ».

[88] Ibid. : « per linguam peccasset ».

[89] Pour lui, Fortunat insiste sur le rejet du monde qui se lit à travers celui des privilèges attachés à son rang, alors que Baudonivie insisterait sur la dimension missionnaire de la vie de la sainte (Claudio Leonardi, Fortunato e Baudonivia, Aus Kirche und Reich : Studien zu Theologie, Politik und Recht im Mittelalter. Festschrift Friedrich Kempf, Hubert Mordek éd., Sigmaringen, 1983, p. 23-32).

[90] Marta Christiani, La Sainteté féminine du haut Moyen Âge, Les Fonctions des saints dans le monde occidental (IIIe-XIIIe siècle), Jean-Yves Tilliette dir., Rome, 1991.

[91] Vita I: « mulieres variis leprae maculis conprehendens in amplexu, osculabatur et vultum, toto diligens animo » (étreignant à pleins bras des femmes marquées de diverses taches de lèpre, elle leur baisait le visage, les aimant de tout son cœur).

[92] Michel Rouche, Fortunat et Baudonivie : Deux biographes pour une seule sainte, La Vie de sainte Radegonde, Poitiers…, op. cit., p. 244.

[93] Glor. Conf. : « angustum est spatium huius loci, dum tuam faciem non meremur aspicere ».

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