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PrÉface
On n’imagine pas combien il peut être à la fois émouvant et passionnant pour un fils de plonger dans l’histoire passée de son père, surtout quand ce fils a lui-même voué sa vie professionnelle à l’histoire et que l’histoire de ce père a gardé l’allure d’un mystère.
Ceux qui comme moi, ont l’honneur d’avoir un membre de leur famille ¾ pour ce qui me concerne trois ¾ qui a rejoint la résistance à l’envahisseur durant les années 1940, pourront certainement témoigner que celui-ci n’a pas passé le restant de sa vie à relater ses actes héroïques. Pour moi, et au moins jusqu’à l’âge d’une quinzaine d’années, mon père avait pour seul mérite d’être directeur de la galerie de minéralogie du Muséum national d’histoire naturelle : alors enfant, je ne saisissais d’ailleurs pas vraiment, à l’époque, que j’aurais pu en retirer quelque orgueil, et j’étais beaucoup plus impressionné par ceux de mes camarades dont les pères étaient commandants de bord ou médecins, deux métiers qui fascinaient alors beaucoup les écoliers, et que j’identifiais clairement, contrairement à l’activité de mon père.
Le basculement est venu lentement : la découverte d’insignes, de pièces d’uniforme, d’un album de photographies montrant des hommes en armes portant des tenues à caractère militaire mais très hétéroclites ; dans cet album, la photographie d’un de ces hommes, étendu mort, qui donnait une tonalité grave à ma découverte[1] ; l’habitude que mon père avait de partir chaque année rencontrer « d’anciens amis connus pendant la guerre »…
Mon père a fini par m’emmener à ces rencontres, qu’il ne cachait pas, mais sur lesquelles il ne s’épanchait pas : et là, un univers s’est ouvert à mes yeux. Parmi les photographies que j’avais vues, il y avait mon père, les « anciens amis » et l’homme mort étaient bien plus que des connaissances. Mon père avait été résistant ! Je ne sais si ce fut la pudeur, ou si je ne saisissais pas encore très bien ce qu’avoir été résistant signifiait[2], mais je préférais questionner les amis de mon père, plutôt que celui-ci. C’est eux qui, peu à peu, de rencontres annuelles en rencontres annuelles, on levé le coin du voile. On comprend mieux pourquoi j’ai parlé d’un mystère : car cela en fut bien un !
Ce mystère achève d’être levé par cet ouvrage qui est la remise en forme des mémoires de guerre de mon père, auxquelles un apparat critique a été ajouté. Dans ces mémoires, mon père analyse ses souvenirs avec une distance et une rigueur véritablement scientifiques, portant des jugements sans concession, sans cacher les difficultés rencontrées et les erreurs commises. Apparaît ainsi une vision de la résistance qui sonne vrai, une résistance à échelle humaine, qui donne plus de relief au courage simple de ces hommes, la plupart jeunes, peu nombreux et souvent isolés, qui se sont soulevés pour des motifs variés mais sans repousser l’idée que le sacrifice de leur vie pût être le prix à payer. On ne s’étonnera pas alors de voir les élans patriotiques mêlés aux considérations très terre-à-terre de jeunes gens s’inquiétant de ce qu’ils allaient manger le soir, et se souvenant aussi bien de leurs coups de main audacieux que de croissants offerts par un contact qui se trouvait être boulanger de son état. On ne s’étonnera pas non plus des emportements de celui qui est devenu un « vieil homme » se rappelant des sacrifices consentis dans les années de résistance et qui ne voit pas la société actuelle évoluer dans le sens qu’il espérait étant jeune.
Plusieurs éléments donnent à ce récit un intérêt en soi : le lien si souvent établi entre S.T.O. et résistance est ici finement analysé et finalement minoré, contrairement au mythe qui veut que le refus du premier ait nourri la seconde de façon décisive.
On s’entend aussi rappeler que la résistance face à l’occupant n’a pas cessé à l’été 1944, mais bien un an plus tard, en particulier en Italie, où le maquis de mon père opérait. En croyant le contraire, on paie ici une erreur due à une lecture de la seconde guerre mondiale très franco-française, qui fait commencer les évènements avec la « drôle de guerre » ¾ souvent ramenée à l’épisode de l’ « exode » ¾ et les fait se terminer avec la libération de Paris, quand ce n’est pas au débarquement en Normandie. Cette myopie prononcée est née dès l’époque : une fois la guerre terminée, les résistants qui furent de la première heure eurent parfois bien du mal à faire reconnaître leurs droits par une administration française qui n’avait pas prévu les « retardataires », comme ces résistants français arrivant tardivement d’Italie. Ceux qui n’avaient été que de la dernière heure, et qui avaient pris immédiatement d’assaut les services chargés d’authentifier leurs récents actes de résistance, avaient été bien mieux servis même quand ces actes relevaient de l’imagination, ou pour dire les choses plus brutalement, du désir de faire oublier d’autres actes moins avouables… ou tout simplement leur inaction !
Autre intérêt de ce témoignage, il montre que les esprits étaient véritablement très troublés durant cette période de conflit, donnant aux évènements une tournure tout de suite plus dramatique et relativisant les engagements des uns et des autres ¾ à l’exception toutefois des mieux informés et des plus engagés idéologiquement ¾ qui furent bien souvent le jouet de ces mêmes évènements dont ils avaient bien du mal à saisir le sens ultime, sinon profond. On comprendra ici, en particulier, que le geste d’un résistant contraint de prendre les armes pour défendre ses idéaux n’est pas un geste de guerre, c’est le geste d’un homme qui veut la paix pour les siens. Cela aussi est une leçon de ce récit qui forme comme une longue réflexion sur la notion de résistance.
Pour nous, qui n’avons pas connu personnellement la guerre et son cortège de désolation et d’horreur, ce témoignage rappelle aussi que, tout horrible que soit la chose, elle a marqué ceux qui l’ont vécu différemment de ce qu’on imagine : une certaine nostalgie, ici très sensible dans le récit, est attachée à ce temps d’épreuve, qui n’a rien à voir avec une attirance morbide et inavouée pour la guerre. Le pays, les gens rencontrés, les objets même, peuplent autant la mémoire que les faits d’armes, le sang et les larmes : ils ne les font pas oublier, mais les habillent à la façon d’un baume qui couvre une blessure trop profonde pour se refermer seule. Ainsi, on comprend mieux que le long excursus que constitue la seconde partie de cet ouvrage, est tout sauf superflu : il dresse le décor, en plus qu’il témoigne d’un temps révolu. Mon père a aimé l’Italie, il a aimé les Italiens, et cet amour n’a fait que croître, et puisqu’il est de coutume de dire que Dieu tire de toute chose, même d’un mal, un bien, c’est cela le bien qui aura été le produit des circonstances du moment. C’est une leçon de l’histoire : les hommes et les pays qui portent la trace de leurs actions, sont plus grands que leurs misères.
On trouvera enfin, tout au long de ce récit, une réflexion sur le travail de la mémoire, ses pièges et ses faiblesses, sorte d’illustration pratique et non intentionnelle de la réflexion théorique que donnait récemment Paul Ricœur[3]. C’est la marque d’une intelligence formée à la rigueur de la démonstration scientifique et qui l’applique à l’ensemble du champ de la connaissance : le géologue ressort derrière le résistant.
Pour toutes ces raisons au moins, mais peut-être pour plus encore qu’un fils ne peut saisir, le chemin que décrit mon père vaut la peine d’être lu et médité. Puissions-nous cependant ne pas avoir à le parcourir à notre tour, comme les peuples heureux, dont on dit qu’ils n’ont pas d’histoire.
Michel FAUQUIER
Professeur agrégé d’histoire
Enseignant en Première supérieure (Lycée de la Perverie, Nantes)
et à l’Institut Albert-le-Grand (Les-Ponts-de-Cé / Angers)
Sommaire
Préface 7
Prodrome 11
À la veille de partir 11
Origines maternelles 12
De retour de l’exode 15
Un retour indirect à la maison 17
Un faux et un vrai départ 20
La ligne de démarcation 22
Première partie : des débuts difficiles 27
I : Marseille 29
Le 8 novembre 1942 29
Une rencontre qui aurait pu mal tourner 31
La destruction du Vieux-Port 33
Gardien de la paix stagiaire 35
II : Le maquis 41
L’Italie face à la guerre 41
En route pour le Luberon : pour l’amour d’une mère 43
Des formations embryonnaires 45
L’attaque du 15 avril 1943 49
Une rencontre inattendue 53
III : Première prison : Menton 55
Une vie de reclus 55
Des journées monotones 57
De rares distractions 60
Une faune variée 62
Les interrogatoires 64
IV : Le tribunal militaire 69
Le transfert 69
L’attente 71
La comparution 73
Le verdict 76
V : Seconde prison : Fossano 79
Le peuple le plus civilisé du monde 79
En route vers Fossano 80
Santa Caterina 84
VI : L’évasion 89
Une ambiance de fin du monde 89
Des destinées diverses 93
Deuxième partie : Les Langhes 97
VII : Le pays et l’habitat 99
Une île dans la terre 99
La cascina 102
VIII : Les travaux et les jours 111
Une économie autarcique 111
Le rude travail de la terre 114
Des figures bibliques 118
La veillée 122
La Messe et le marché 125
IX : La gastronomie contadina 129
Manger 129
Boire 133
X : I paesi 137
La couleur locale 137
Les autorités 139
Les commerces 141
Un bonheur simple 143
Troisième partie : Partisans dans les Langhes 145
XI : Les partisans 147
Servitude et grandeur 147
Un phénomène spontané 152
L’organisation italienne 157
La VIa Zona 163
Les Garibaldiens dans les Langhes 168
Une intervention intempestive 171
XII : Automne-hiver 1943-44 175
Séparations 175
Premiers contacts 179
Frabosa : premier baptême du feu 183
Routine et héroïsme 189
Deux rencontres qui ont failli mal tourner 193
XIII : Printemps 1944 197
Valcasotto 197
Loulou 201
Gabilondo 207
Méprise à Dogliani 210
XIV : été 1944 : La Grande stagione 215
Expédition contre Fossano 215
La Signorina 218
La « foire de Benevagienna » 221
Nouvelle peur chez Rose 224
Dogliani bombardé 225
L’embuscade 226
L’ISLAFRAN gagne en importance 232
XV : Automne 1944 235
Une victoire aux lourdes conséquences 235
Temide alla Macchia 236
Des uniformes presque offerts 239
Le prix du beurre 242
Un geste inconsidéré 246
XVI : L’offensive allemande 249
David contre Goliath 249
Un héros de quinze ans 252
Un bilan difficile à apprécier 256
Quatrième partie : Derniers mois de guerre 263
XVII : Réorganisation 265
Une prise de commandement sans cérémonie 265
Une nouvelle structure 267
XVIII : Le siège des garnisons 271
Les fascistes à Dogliani 271
Des ponts meurtriers 275
Coup de main contre Monforte 277
XIX : Mars 1945 283
Un pont de moins 283
Le lance-grenades 286
Retour à Fossano 290
Un tour d’apprentis sorciers 292
Le front 293
XX : Aldo dice… 297
Le plan E27 297
Un camion fou 299
Au bout de nos forces 302
Moncalieri 303
La démobilisation 307
épilogue 311
Un mois de vacances 311
Formalités 314
Le voyage de retour 315
En guise de conclusion 317
Annexes 319
Liste des abréviations 321
Répertoire des noms 323
Annexe 1 : Lettre du samedi 13 Mars 1943 331
Annexe 2 : Lettre du 4 mai 1943 333
Annexe 3 : Lettre du 6 juillet 1943 334
Annexe 4 : Témoignages portant sur l’évasion collective
de la prison de Fossano 335
Annexe 5 : Lettre du 24 septembre 1943 337
Annexe 6 : Lettre du 1er décembre 1943 338
Annexe 7 : Lettre du 1er juin 1945 339
Annexe 8 : Ordre de marche 340
Annexe 9 : Appel au secours 341
Annexe 10 : Carte de la VIa Zona « Monregalese-Langhe » 343
Annexe 11 : Organisation finale sommaire de la résistance
italienne 344
Annexe 12 : Mutations des formations garibaldiennes
langarole 345
Annexe 13 : Portraits de Daniel FAUQUIER 346
Annexe 14 : Portraits de quelques chefs de la VIa Zona
« Monregalese-Langhe » 347
Annexe 15 : Portraits de partisans de la VIa Zona
« Monregalese-Langhe » 348
Annexe 16 : Les Français 349
Annexe 17 : Exercices de combat à la Lovera, juillet 1944 350
Annexe 18 : Insignes portés par Daniel Fauquier 351
[1] Cf. annexe 16.
[2] Dans les années 1970, l’épopée de la résistance n’était que rarement évoquée, le programme s’arrêtant à l’époque à la fondation de l’O.N.U.… époque que nos professeurs atteignaient plus que rarement, puisqu’il s’agissait du dernier chapitre de l’année ! En ce qui me concerne, mon professeur de terminale battit tous les records de lenteur et je n’appris rien de la seconde guerre mondiale, sinon en catastrophe, la veille des épreuves du baccalauréat dans les annales des épreuves.
[3] La Mémoire, l’histoire, l’oubli, coll. « L’Ordre philosophique », Paris, Seuil, 2000.