pour revenir au menu précédent, tapez sur "retour" à la fin

Les conditions de l’émergence du protestantisme

Le protestantisme est un phénomène complexe pour ne pas dire compliqué, que l’on fait traditionnellement naître le 31 octobre 1517, le jour où un religieux Augustin saxon, Martin Luther, expédia ses quatre-vingt-quinze thèses à l’archevêque de Mayence, après peut-être les avoir affichées sur la porte de l’église du château de Wittenberg, dont il était le chapelain. Cet événement formera le terme de notre exposé et non sa matière, puisque nous allons essayer de saisir les conditions de la révolte de Luther, et non les voies qu’elle a suivies.

En effet, les raisons qui poussent Luther à agir sont trop souvent réduites à un différend à propos de la question des indulgences, elles-mêmes réduites à une simple histoire de gros sous. C’est confondre le catalyseur avec l’origine de la réaction, et ignorer que les indulgences sont un problème d’importance, à proprement parler vitale. Replacée dans un contexte large qui ne fait fi ni des évènements ni des mentalités, l’émergence du protestantisme prend alors une autre dimension et apparaît comme le développement ultime et certainement malheureux d’une question qui hante depuis toujours le cœur de l’homme : celle de sa destinée.

Pour rendre compte du drame qui se joue il faut d’abord prendre conscience de la façon dont est conçue l’Eglise à la fin du XVe siècle, mais aussi de l’incroyable état de délabrement qui caractérise ses clercs au moment même où les besoins des fidèles se font sentir avec plus de force, pour mieux saisir enfin pourquoi le mouvement de réforme qui traverse l’Eglise de façon particulière depuis le XIVe siècle a pris un tour un peu échevelé propice à l’éclosion d’une solution radicale.

1 : une Eglise en passe d’être privatisée.

L’Eglise est une institution divine dont le Christ a confié le gouvernement aux hommes, mais ce gouvernement évolue vers une pratique pour l’essentielle hiérarchique qui gomme les autres dimensions de l’Eglise, les souverains temporels cherchant à récupérer une autorité sur l’Eglise dont les cadres devenus trop lourds s’opposent aux leurs.

1.1 : une institution divine.

1.1.1 : une Eglise fondée sur le Christ.

Instituée par Jésus-Christ, l’Eglise s’est structurée à mesure de son expansion, sous la direction des successeurs des douze Apôtres et qui prirent tardivement le nom d’évêques (« ceux qui ont la charge de », de skopew, observer de haut) : le remplacement de Judas Iscariote par Matthias (Ac 1, 12-26), a ouvert la voie au système de la succession apostolique, le nombre des évêques étant ensuite augmenté à mesure des créations d’Eglises.

1.1.2 : un gouvernement collégial.

Dès l’origine, le gouvernement de l’Eglise est considéré comme collégial, une primauté étant reconnue à Pierre par le Christ (Mt 16, 18-19), et transmise depuis lors à son successeur, l’évêque de Rome appelé « Pape », nom qui est donné à Dieu dans la prière enseignée par le Christ à ses disciples[1]. Les discussions sur la nature de la primauté du successeur de Pierre a entraîné le Grand Schisme de 1054 qui a séparé d’un côté les Catholiques, qui accepte l’autorité suprême du Pape, et les orthodoxes qui la refusent[2].

1.1.3 : mais pas une société politique.

Le gouvernement collégial de l’Eglise, s’exerce particulièrement lors des conciles œcuméniques, auxquels le Pape a pris l’habitude de ne pas assister. Ils réunissent tous les évêques de la chrétienté, assistés de quelques spécialistes, pour fixer des points de doctrine et de discipline : durant le XVe siècle, un « mouvement conciliariste »[3] essaya sans succès d’imposer son autorité au Pape, cédant à la tentation de transformer l’Eglise en une société politique parmi d’autres, avec un souverain entouré d’un conseil de barons.

1.2 : une forme avant tout hiérarchique.

1.2.1 : une réalité spirituelle.

Même si la structure hiérarchique a fini par prendre le dessus sur les autres représentations de l’Eglise, celle-ci reste d’abord une réalité spirituelle, où vivants et morts sont liés dans une même solidarité (communion des saints), ce dont essaye de rendre compte des vocables divers (Jérusalem céleste, Corps mystique du Christ...) et d’innombrables oeuvres d’art religieux (sculptures, miniatures...).

1.2.2 : une cascade d’autorités.

Dans la pratique, l’Eglise en Occident s’est lentement structurée sous une forme hiérarchique qui va du Pape, entouré d’une Curie[4], jusqu’aux fidèles. Cette cascade d’autorités, que l’on retrouve aussi bien dans le clergé séculier[5] que dans le clergé régulier[6], donne une place éminente aux évêques, à la tête de leurs diocèses : dans cette vision hiérarchique, le Pape est d’ailleurs qualifié de « souverain pontife »[7].

1.2.3 : une Eglise qui surdimensionne la place des clercs.

Dans ce schéma hiérarchique, la distinction entre clercs et laïcs atteint son amplitude maximale, au point que l’on ne considère pas comme des laïcs les membres non-clercs des ordres religieux[8], qui sont pourtant des laïcs, au sens strict. Dans ce schéma, tous les catholiques ont à se sanctifier, mais seuls les clercs ont en charge le service de Dieu : c’est donc naturellement la question de la dignité des clercs qui sera au centre des débats sur la réforme.


 

1.3 : la Pragmatique sanction de Bourges (doc. 1).

1.3.1 : une constitution gallicane.

Au début du XVIe siècle, l’Eglise en France est toujours régie par la Pragmatique sanction de Bourges[9]. Bien que théoriquement abolie en 1461 par Louis XI, la Pragmatique sanction ne cesse d’être considérée comme la charte de l’Eglise en France, que l’on qualifie de « gallicane ».

1.3.2 : une logique conciliariste.

La Pragmatique Sanction de Bourges suit les conclusions du concile de Bâle, et s’inscrit donc dans la logique conciliariste (cf. supra) : si elle intègre des éléments de réforme (célibat, résidence, assistance au chœur...), leur application est vouée à l’échec car l’autorité du temporel sur le spirituel y est affirmé avec force[10], ce qui soumet cette réforme au bon vouloir du pouvoir temporel[11].

1.3.3 : des aspirations contradictoires.

Cependant, le gallicanisme cache des aspirations contradictoires : les évêques cherchent à préserver leur autorité face au Pape et face au Roi, alors que le Roi veut contrôler les clercs et le Parlement, et les soumettre à ses jugements. On comprend que, dans de telles conditions, une réforme a peu de chance d’aboutir.

2 : un idéal de réforme qui sourd.

Toutes ces manœuvres ne répondent pas aux formidables besoins que des épreuves comme la guerre de Cent Ans, la Peste Noire ou le Grand Schisme ont fait naître chez les fidèles des XIVe et XVe siècles. Alors que les limites du monde traditionnel craquent, l’angoisse des fidèles est encore plus sensible, d’autant que l’état d’indignité d’une part croissante du clergé ne semble pas trouver de remède.

2.1 : un monde qui craque.

2.2.1 : un élargissement des horizons.

L’homme du XVIe siècle a un désir profond de renouvellement, ce que semble pouvoir lui offrir l’élargissement des horizons. Amérique et grec sont redécouverts ensemble, et cette redécouverte ne se fait pas en parallèle de la quête religieuse mais dans son sillage : Colomb plante la croix avec une ferveur mystique sur le « Nouveau monde », et Budé se dit « helléniste » parce qu’il traduit les Pères de l’Eglise.

2.2.2 : un élan analogique à celui de la foi.

Les grandes découvertes procèdent en fait du même élan que celui de la foi, qui pose un homme créé à l’image de Dieu, capable de comprendre et saisir toute la Création : aucun des grands découvreurs (Christophe Colomb, Nicolas Copernic et Ambroise Paré…) n’a donc eu pour objectif de remettre en cause l’enseignement biblique, mais en mettant en cause les conceptions de leur temps, ils ont provoqué un involontaire ébranlement qui a largement dépassé les limites de leurs trouvailles.

2.2.3 : l’imprimerie, un accélérateur.

Cet ébranlement est accentué par la diffusion de l’imprimerie[12] jusque dans les petites villes (Tréguier, Loudéac). En effet, ce nouveau média est mal maîtrisé : il met la Bible et les écrits religieux à la portée de ceux qui savent lire et qui ne sont pas savants, ceci sans préparation, et il amplifie l’imaginaire car l’écrit est si rare qu’il est chargé d’une grande autorité[13].

2.2 : des fidèles angoissés.

2.2.1 : la « religion flamboyante ».

La vitalité religieuse des fidèles est réelle et a paroisse devient le cadre naturel d'une « religion flamboyante » selon l’expression de Jacques CHIFFOLEAU : celle-ci est caractérisée par une surabondance rituelle (rogations, Fête-Dieu...), une véritable « comptabilité de l’au-delà » à travers l’enflure du système des indulgences, et une multiplication des lieux de culte, de dévotion et de vie spirituelle.

2.2.2 : la peur et le mérite.

Jean DELUMEAU, Alain CROIX parlent d’une « religion de la peur et du mérite », qui engendre une angoisse eschatologique et s’exprime par ce que Pierre CHAUNU a appelé une « flambée du macabre ». Celle-ci est lisible à travers la diffusion, depuis le XIVe siècle, des scènes de « danses macabres », des « transis »[14], des Artes moriendi[15] (doc. 2), et du testament au seuil de la mort[16].

2.2.3 : de nouvelles solidarités.

Une première réponse à cette angoisse montante, a été la constitution de nouvelles solidarités ou « confréries », capables de pallier l’absence éventuelle de la famille au moment de la mort, et d’assurer un enterrement digne à ses membres, Ce sont des associations très exigeantes sur le plan spirituel, moral et ascétique (flagellants : doc. 3), et dont la prolifération (502 nouvelles durant le XVe siècle dans le seul diocèse de Rouen : doc. 3) inquiète les évêques et les municipalités, qui les suspectent de toutes les mauvaises intentions.

2.3 : des clercs qui défigurent l’Eglise.

2.3.1 : un épiscopat peu reluisant.

L'origine sociale des évêques est très diverse[17], et le roi, qui a la haute main sur les nominations épiscopales, fait entrer des critères religieux dans ses choix. Il n’empêche que le résultat n’est guère brillant et les abus innombrables : brigue et cumul des bénéfices[18], résignation in favorem (népotisme), simonie, confidence (possession d'un bénéfice sous le nom d'autrui), économat (administration des revenus d'un bénéfice vacant), commende (collation d'un bénéfice ecclésiastique sans exercer ni résider), absentéisme (trente-cinq sièges inoccupés en 1579). Il manque en effet de candidats dignes, et le renouvellement de l'épiscopat est très lent[19].

2.3.2 : un clergé séculier frappé des mêmes maux.

Le clergé séculier est surabondant au XVIe siècle (un tiers de la population de Rouen est tonsurée au XVe siècle), et tous ne trouvent pas un emploi, une masse de clercs ne pouvant être ordonnés faute de faire la preuve d'un revenu clérical suffisant). Il n’est donc pas étonnant que cette masse soit peu exemplaire et reproduise les maux dont leurs évêques sont rarement exempts, avec des pics en ce qui concerne la non résidence (25% dans le diocèse de Strasbourg, jusqu'à 90% dans celui de Clermont au milieu XVIe siècle) et le concubinage. Au moins les curés en titre sont-ils plutôt assez instruits[20], contrairement aux autres prêtres, mais ils ne sont pas toujours présents.

2.3.3 : des Réguliers diversement dignes.

Le clergé régulier n'est guère meilleur : le système de la commende s’est étendu[21], et nombre d’abbayes sont quasi vides. Seuls les Mendiants maintiennent leur progression mais ils entretiennent de mauvais rapports avec les séculiers soit parce que leur pastorale déplaît, soit parce que leur mode de vie dérange leurs confrères moins regardants[22] ou les municipalités qui se sont souvent opposées aux mouvements d’Observance qui, aux XIVe et XVe siècles cherchèrent à rétablir les Règles religieuses.

3 : de la réforme à la Réformation.

La faim des fidèles et la détresse des clercs qui sont restés dignes croît à mesure que le fossé entre les attentes des fidèles et les capacités du clergé s’agrandit. Le problème est grave et de nature avant spirituel, et si dans un premier temps les réponses surgissent du cœur l’Eglise, celle de Luther sort finalement de l’Eglise pour se retourner contre Elle.

3.1 : un problème avant tout spirituel.

3.1.1 : les excessi.

Au centre du débat se situe la question des excessi (abus), dont il faut bien comprendre qu’ils sont moins constitués par des comportements condamnables que par les conséquences de ces comportements dans l’ordre spirituel. Ce sont avant tout ces abus que vise Luther qui parle volontiers « d’adultération de la Parole de Dieu ». En effet, Luther a été formé dans un collège (Frères de la Vie commune) et appartient à un ordre (Augustins) extrêmement stricts, et exempts des maux frappants le clergé de son temps.

3.1.2 : la reformatio.

Luther n’est pas seul à réfléchir à une solution, et la complexité du courant de réforme qui anime la chrétienté depuis le XIVe siècle témoigne qu’il s’agit d’un phénomène irréductible au seul personnage de Luther. C’est l’incapacité croissante du clergé à répondre aux besoins spirituels des fidèles qui aboutit à donner un tour foisonnant à ce mouvement de recherche qu’est la reformatio, c’est-à-dire la re-mise-en forme [de l’Eglise].


 

3.1.3 : un mouvement difficile à faire passer dans les faits.

Les autorités ne sont pas restées inertes : des conciles (Pise, Latran), des évêques[23], le roi de France[24], et des magistrats[25] ont cherché à purifier les pratiques des fidèles, mais l’échec des mouvements d’Observance montre cependant que ce désir de réforme n’est pas partagé, lequel se heurte par ailleurs à des difficultés considérables[26].

3.2 : de nouvelles réponses.

3.2.1 : la devotio moderna.

La devotio moderna est un courant né vers la fin du XIVe siècle en Europe du Nord, pour répondre aux besoins des âmes que le nominalisme, trop intellectuel[27], ne comblait pas. Elle propose un idéal de vie calqué sur les vertus évangéliques : son livre-programme est L’imitation de Jésus-Christ de Thomas a Kempis (doc. 3). La devotio moderna a ceci d’original qu’elle touche aussi bien les religieux que les élites laïques, ce qui ne va pas sans problèmes[28]. Elle reste essentiellement mystique, ce qui l’empêche de connaître une large diffusion, même si elle est une des origines de la vogue populaire de l'adoration eucharistique.

3.2.2 : le fabrisme.

Lefèvre d’Etaples est à l’origine d’un autre courant qui porte son nom le « fabrisme » : très introduit dans le milieu intellectuel parisien[29], il y est célébré comme le restaurateur d’Aristote pour la France. Sa pensée repose sur une lecture de l’Ecriture par l’Ecriture, toujours ramenée au Christ (Christiformitas[30]). Par ailleurs, il veut créer une synergie entre saint Paul (la foi) et saint Jacques (les œuvres). Il aura une influence décisive en devenant le principal collaborateur de l’évêque Guillaume Briçonnet[31] qui voudra réformer son diocèse de Meaux selon en opposant une nouvelle forme de prédication[32] à celle des Mendiants.

3.2.3 : l’érasmisme.

Plus importante encore est l’influence d’Erasme, qui entretient une correspondance nourrie avec tout ce que l’Europe compte de penseurs : il veut rétablir l’Esprit du Christ au delà des pratiques extérieures, vis-à-vis desquelles il est souvent critique (doc. 3). De même, il refuse toute inspiration à la Vulgate de Saint Jérôme et veut restaurer le texte original des Ecritures. Pour Erasme, l’homme dispose d’un libre arbitre, pouvant opter pour la voie du Salut ou celle de la damnation.

3.3 : Luther : de l’Eglise contre l’Eglise.

3.3.1 : une recherche de désangoissement.

Dans une première étape, Luther ressent un début de délivrance à la lecture de saint Bernard et de Jean Tauler, qui défendent l’idée d’une sainteté « don de Dieu ». Mais il ne se détache pas de l’idée que le Diable agit au cœur même de l’homme. Pour tourner cette difficulté il s’accroche à la Révélation extérieure qu’est la Bible, l’apaisement venant avec la lecture des Psaumes et de l’Epître aux Romains.

3.3.2 : une théologie originale mais hétérodoxe.

De ces lectures Luther ressort avec une conception nouvelle de la théologie que l’on résume parfois par la formule : « sola Dei, sola Fide, sola Scriptura ». Par là, il rejette tout intermédiaire entre Dieu et les fidèles, affirme que l’homme est justifié par la foi le Salut étant un don gratuit[33], et que seule la Bible est infaillible. Sur un autre plan, ecclésiologique, et non plus purement théologique, il donne une version durcie du sacerdoce universel que chaque fidèle reçoit de son baptême, estimant que de ce fait l’Eglise institutionnelle n’a pas d’utilité.

3.3.3 : une réforme retournée contre l’Eglise.

La pensée de Luther s’oppose à tous les courants issus de la réforme catholique : il rejette l’imitatio comme un leurre, la synergie fabriste entre la foi et les œuvres comme creuse, et oppose au libre-arbitre érasmien son serf-arbitre[34]. La querelle des Indulgences, qui est à l’origine immédiate de l’affichage des quatre-vingt-quinze thèses de Luther (doc. 4)[35], n’est finalement que le déclencheur et non le cœur du problème. Animé par la certitude d’avoir raison[36], Luther se ferme alors à tout dialogue et entre dans la révolte[37], ouvrant la voie qui allait donner naissance au protestantisme, se coupant du mouvement humaniste (Erasme avait offert sa médiation).

Conclusion

Les cadres très rigides et très sécularisés de l’Eglise empêchent son véritable visage de transparaître, d’autant qu’il est de plus en plus défiguré par les abus des clercs dont les conséquences sont toujours plus évidentes en termes spirituels, et provoquent le scandale de ceux qui crient à l’adultération de la parole de Dieu et cherchent des remèdes à cet état jusqu’à estimer que c’est l’Eglise institutionnelle elle-même qui est le mal.

En prétendant lutter contre le mal, Luther allait ouvrir un temps de malheur. Il est en effet saisissant de voir à quel point cette entreprise de désangoissement de l’homme, que se voulait être le luthéranisme et le protestantisme à sa suite, est marqué au sceau du malheur : c’est de l’angoisse qu’il naît, angoisse réveillée par le souvenir des malheurs du temps combiné avec le spectacle de l’incroyable indignité dans laquelle était tombée une part significative du clergé catholique. Par ailleurs, l’entreprise luthérienne constitue en soi un malheur en faisant imploser une Eglise qui n’avait pas besoin de cela pour guérir ses maux, et dont le Christ avait dit que l’Unité était la seule forme de témoignage apte à emporter l’adhésion. Enfin, le protestantisme provoque des malheurs, en donnant aux chrétiens de nombreux mauvais arguments pour se dresser les uns contre les autres, les catholiques s’étant saisi de ces mêmes arguments avec tout autant d’aveuglement que leurs adversaires.

Il n’est pas indifférent en effet de se rappeler que le protestantisme émerge dans le bruit et la fureur, ceux que Karlstadt et ses séides font régner à Wittenberg, ceux que les chevauchées du chevalier Ulrich von Hutten répandent dans l’Empire, enfin, ceux du soulèvement paysan qui ébranle le même Empire dont il menace d’emporter les fondements sociaux. Tout cela a lieu entre 1521 et 1524, et montre que le protestantisme naissant et qui ne dit pas encore son nom, a ouvert une véritable boîte de Pandore. Apprenti sorcier, Luther sera contraint de sortir de sa réserve à chaque fois pour mettre fin à ces actions désordonnées, mais il ne verra pas les guerres de religion : peut-être l’eurent-elles ébranlé ? Force est de constater que ce ne fut pas le cas de l’autre grand fondateur du protestantisme, le français Jean Cauvin dit « Calvin », qui y vit un affrontement providentiel. Avec le temps, les blessures se referment et le débat se dépassionne : personne ne verra un hasard dans le choix de la date d’un 31 octobre, en 1999, pour la signature par l’Eglise catholique et la Fédération luthérienne mondiale de la Déclaration commune vers la doctrine de la justification.

 

Michel FAUQUIER

Si vous utilisez ce travail, merci d’en mentionner l’auteur conformément à la loi

 


 

ANNEXES à la CONFERENCE DONNEE par M. MICHEL FAUQUIER

le 26 NOVEMBRE 2001 à LAVAL

sur le THEME : « les CONDITIONS de l’EMERGENCE du PROTESTANTISME ».

Annexe 1 : Plan de l’exposé

1 : une Eglise en passe d’être privatisée.

1.1 : une institution divine.

1.1.1 : une Eglise fondée sur le Christ.

1.1.2 : un gouvernement collégial.

1.1.3 : mais pas une société politique.

1.2 : une forme avant tout hiérarchique.

1.2.1 : une réalité spirituelle.

1.2.2 : une cascade d’autorités.

1.2.3 : une Eglise qui surdimensionne la place des clercs.

1.3 : la Pragmatique sanction de Bourges.

1.3.1 : une constitution gallicane.

1.3.2 : une logique conciliariste.

1.3.3 : des aspirations contradictoires.

2 : un idéal de réforme qui sourd.

2.1 : un monde qui craque.

2.1.1 : un élargissement des horizons.

2.1.2 : un élan analogique à celui de la foi.

2.1.3 : l’imprimerie, un accélérateur.

2.2 : des fidèles angoissés.

2.2.1 : la « religion flamboyante ».

2.2.2 : la peur et le mérite.

2.2.3 : de nouvelles solidarités.

2.3 : des clercs qui défigurent l’Eglise.

2.3.1 : un épiscopat peu reluisant.

2.3.2 : un clergé séculier frappé des mêmes maux.

2.3.3 : des réguliers diversement dignes.

3 : de la réforme à la réformation.

3.1 : un problème avant tout spirituel.

3.1.1 : les excessi.

3.1.2 : la reformatio.

3.1.3 : un mouvement difficile à faire passer dans les faits.

3.2 : de nouvelles réponses.

3.2.1 : la devotio moderna.

3.2.2 : le fabrisme.

2.2.3 : l’érasmisme.

3.3 : Luther : de l’Eglise contre l’Eglise.

3.2.1 : une recherche de désangoissement.

3.2.2 : une théologie originale mais hétérodoxe.

3.2.3 : une réforme retournée contre l’Eglise.


 

Annexe 2 : Ouvrages recommandés

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Chaunu Pierre, Le temps des réformes : la crise de la chrétienté, l’éclatement : 1250-1550, Fayard, Paris, 1975.

Commentaire : un des maîtres de la question, protestant, qui donne une perspective large d’un phénomène trop vu alors comme une éruption brutale.

Crouzet Denis, La genèse de la Réforme française : 1520-1562, coll. « Regards sur l’histoire », S.E.D.E.S., Paris, 1996.

Commentaire : certainement l’ouvrage le plus intéressant à la fois par la finesse de son analyse que par l’intérêt de son propos, mais très difficile d’accès sans une solide culture. Plus large que son titre ne pourrait le laisser penser, il s’intéresse longuement aux conceptions de Calvin mais aussi de Luther.

Delumeau Jean, Naissance et affirmation de la Réforme, 1965, 7ème éd. rev., coll. « Nouvelle Clio », PUF, Paris, 1994.

Commentaire : érudit mais très abordable, doté d’une très abondante bibliographie utile pour ceux cherchant une information particulière sur la question du protestantisme.

Deregnaucourt Gilles & Poton Didier, La vie religieuse en France aux XVIème, XVIIème et XVIIIème siècles, coll. « Synthèses histoire », Ophrys, Gap, 1994.

Commentaire : une excellente mise au point facilement abordable, qui présente l’intérêt d’avoir été écrite à deux mains par un catholique (le premier) et un protestant (le second).

Dictionnaire culturel du christianisme, Cerf / Nathan, Paris, 1994.

Commentaire : un instrument de travail utile pour les concepts.

Venard Marc dir., Histoire du christianisme, 7, Desclée, Paris, 1994.

Commentaire : actualise l’ancien Fliche et Martin, en élargissant de la perspective catholique à la perspective chrétienne. Très fouillé, certainement trop pour commencer, et pas toujours facile d’accès.

Venard Marc dir., Histoire de la France religieuse, 2, coll. « Univers Historique », Seuil, Paris, 1988.

Commentaire : l’équivalent du précédent pour le seul domaine français, mais présente l’avantage de présenter beaucoup d’illustrations.


 

[1]  « Abba », traduit par « Notre Père », mais qui signifie « papa » ;

[2] Cette séparation s’accompagna d’anathèmes réciproques qui ne furent levés qu’en 1965.

[3] Conciles de Constance (1414-1418), et de Bâle (1431-1449).

[4] Organisée sur le modèle impérial, elle comprend un conseil ordinaire (synode romain ou consistoire), dont les membres sont les cardinaux présents à Rome, et des services administratifs : Chambre apostolique (affaires financières), Chancellerie (courrier), Rote (justice), et Pénitencerie (règlement des problèmes canoniques). Après le concile de Trente, le pape Sixte Quint, réforma la Curie en promulguant la constitution apostolique Immensa (1588) qui donnait la direction des services de la Curie à des « congrégations » (services spécialisés).

[5] Le territoire ecclésiastique est divisé en provinces mises chacune sous la responsabilité d’un archevêque, elles mêmes divisées en diocèses mis sous la responsabilité d’un évêque, eux-mêmes divisés en archidiaconés mis sous la responsabilité d’un archidiacre, eux mêmes divisés en doyennés sous la responsabilité d’un doyen, divisés enfin en paroisses sous la responsabilité d’un curé, éventuellement assisté de vicaires

[6] Les ordres religieux, d’hommes et de femmes, connaissent une hiérarchie variable selon les Ordres (Dominicains et Franciscains ont un Général de l’Ordre, installé à Rome, alors qu’un abbé bénédictin est maître de son monastère et des prieurés qui lui sont liés) : on distinguait essentiellement d’une part les moines, noirs (clunisiens) ou blancs (cisterciens), soumis à la règle bénédictine, et d’autre part les religieux soumis à des règles inspirées de celles de saint Augustin.

[7] De « pontifex », sacerdoce d’origine romaine, dont le nom signifie « faiseur de pont ». Ce qualificatif s’est appliqué aux évêques, avec une distinction de degré pour le Pape : cette distinction reproduit celle des Romains qui distinguaient un « pontifex magnus » (réservé aux Patriciens, puis à l’Empereur) des autres « pontifices » (réservé aux Plébéiens).

[8] On devient clerc par la réception des Ordres : quatre mineurs (portier, lecteur, exorciste et acolyte, localement, d’autres ont peu exister durant un certain temps), et trois majeurs (sous-diaconat, diaconat et sacerdoce qui comprend deux degrés : la prêtrise et l’épiscopat).

[9] Dite de « Bourges » pour la distinguer de la Pragmatique sanction de l’Empereur germanique Charles VI, en 1713, par laquelle il assura la succession à sa fille Marie-Thérèse, n’ayant pas eu le fils qui aurait théoriquement dû lui succéder. La pragmatique sanction de Bourges fut concédée en 1438 (en pleine crise conciliariste) par le Pape Martin V au roi de France Charles VII, soutenu par des Etats généraux qu’il a su faire manipuler par son entourage.

[10] le décret frequens du concile de Bâle est reçu (concile décennal obligatoire), ce qui permet symétriquement à l’affirmation de l’autorité du concile sur le Pape, d’affirmer que le roi de France ne peut être soumis à aucune autorité supérieure sur le plan politique. Par ailleurs, les appels en cour de Rome sont limités.

[11] Elections et collations de bénéfices sont déclarées « libres », c’est à dire... remises à ceux qui les effectuaient !

[12] Johannes Gensfleisch dit « Gutenberg », mit au point la technique de l’imprimerie entre 1434 et 1455, date à laquelle il commença l’édition de sa première Bible à trente-six lignes. Interrompue par un procès intenté à Gutenberg par son commanditaire, cette édition reprit en 1465 grâce au soutien de l’archevêque de Mayence.

[13] On prend donc pour argent comptant ce qui est édité : le récit d’un monstre né à Ravenne en 1512, la rumeur de déluge universel pour l’année 1524, qui provoqua des paniques à Metz au tournant de la nouvelle année...

[14] Ce sont des monuments mortuaires figurant les corps en décomposition, alors même que les effets de la Peste noire se font moins sentir : cinq transis sont connus pour le XIVe siècle, 75 au XVe, 155 au XVIe.

[15] Ce sont des ouvrages expliquant comment faire une « bonne mort » en toutes circonstances. Le prototype de cette littérature est l’Ars moriendi composé entre 1415 et 1417 par un dominicain. Il a été étudié par Roger CHARTIER qui insiste sur le fait que l’ouvrage centre l’action dans la chambre du mourant décrite par le texte et l’image associés.

[16] Etude de Pierre CHAUNU pour le Paris des XVI-XVIIIe siècles.

[17] Selon Michel PERONNET, le nombre des roturiers (de 2,5 à 9,5%) et des étrangers (de 15,6 à 19,7%) augmente face aux nobles et fils d'anoblis, de 1516 à 1588. Les roturiers sont de brillants humanistes (Pierre Danès, évêque de Lavaur).

[18] En 1550, Hippolyte d'Este est archevêque de Lyon, d'Arles, de Narbonne, et de Milan, évêque d'Autun, de Tréguier et de Ferrare.

[19] Entre quatre et huit sièges par an pour cent-quinze diocèses en 1500.

[20] Gradués, ils disposent d'ouvrages nombreux pour les aider dans leur ministère (explication du Credo et des Commandements, exposé des sacrements, modèles de prônes...: Manipulus de Guy Montrocher, Opus tripartitum de Gerson).

[21] Concession d’un bénéfice à un séculier ou un laïc, qui, bien évidemment, se désintéresse souvent de l’état spirituel des ses brebis !

[22] Ainsi, à l’université, les maîtres Mendiants ne se font pas payer, leurs collègues les accusant de concurrence illicite.

[23] Bienheureux François d'Estaing évêque de Rodez, Jean Marre évêque de Condom, Guillaume Briçonnet évêque de Meaux, Antoine Caracciolo évêque de Troyes

[24] Charles VIII et Louis XII ont activement soutenus Saint François de Paule, fondateur des Minimes, et le Cordelier Olivier Maillard, Cordelier. Ils ont surtout intégré la reformatio à leur programme de restauration de l’autorité royale (18 mars 1518, concordat de Bologne demeure le statut de l'Eglise jusqu'en 1790) qui reste avant tout un acte religieux, « traduisant une conception religieuse de la politique, constantinienne si l’on veut » (Denis Crouzet) car il est conçu comme un moyen d’imposer par le haut une renovatio Ecclesiae.

[25] Interdiction des Mystères dans le ressort de Paris en 1548, et des veillées de la saint Jean dans le ressort de Dijon en 1556. L’un comme l’autre donnaient lieu à des débordements de moins en moins spirituels.

[26] En 1550, le parlement de Toulouse arrête sa procédure contre les clercs concubins, face au trop grand nombre d'inculpés... parmi lesquels un évêque.

[27] Courant très ancien né au XIe siècle (Roscelin) : pour les nominalistes, seule l’expérience du particulier procure des certitudes, la théologie (basée sur les universaux, qui ne sont que des noms, d’où le qualificatif de nominalistes) perd alors de son intérêt, au profit de l’Ecriture sainte. Occam défend une théorie plus modérée, bien qu’opposé à la notion thomiste d’essence, il estime qu’il y a des universaux, mais dans l’esprit seul : plus que nominaliste, il est anti-réaliste (Francis RAPP).

[28] Amis de Dieu de maître Eckhart et Jean Tauler, béguinages de Jean de Ruysbroek, Frères et Sœurs de la Vie Commune, de Gerd de Groote et Florent Radewijns, qui connurent aussi bien l’opposition des ordres Mendiants que des municipalités et du peuple (qui les accusaient de soustraire des femmes au mariage).

[29] Pic de la Mirandole, Jean Raulin.

[30] Notion influencée par la fréquentation de la pensée de Nicolas de Cues.

[31] Il a négocié le concordat de Bologne pour François Ier, et est très proche de sa sœur Marguerite de Navarre.

[32] Elle inverse la perspective augustinienne (qui pense la prédestination par rapport à Adam, donc à la Chute) en pensant la prédestination par rapport au Christ (donc à la Rédemption).

[33] Selon cette doctrine, l’homme est pécheur mais peut être passivement rendu juste par Dieu, d’où la notion d’une justice passive, c’est à dire reçue comme don de Dieu : « les croyants ne sont pas effectivement justifiés par le sacrifice qui leur a été imputé par la miséricorde divine, ils le sont seulement virtuellement : non justificati, sed justificandi », selon G. LEONARD, « justice et miséricorde sont synonymes », selon Pierre CHAUNU.

[34] L’homme ne peut rien choisir par lui-même, ou il fait le mal, ou Dieu lui donne la grâce de faire le bien.

[35] Le 31 mars 1515, le pape Léon X confirme, pour les provinces de Magdebourg et de Mayence, une indulgence de Jules II, en vue de la reconstruction de Saint Pierre de Rome. La prédication, de deux ans, est organisée par le dominicain Tetzel (« sitôt que dans le tronc l’argent résonne, du Purgatoire brûlant l’âme s’envole »). La Saxe est interdite de prédication par son électeur, mais nombre de ses habitants passent la frontière pour acheter des indulgences. C’est ce qui fait sortir Luther de sa réserve : ses thèses, rédigées en latin, circulent d’abord dans les milieux savants, et violentes dans le ton, elles restent modérées sur le fond.

[36] A Lucien FEBVRE qui insiste alors sur « l’énergie » renfermée dans la doctrine de la justification, Jean WIRTH oppose un Luther manipulateur.

[37] Il n’hésita pas à jeter de l’huile sur le feu : le 11 décembre 1518, il présente le Pape comme l’Antéchrist, c’est un an avant la condamnation de ses idées par les facultés de Cologne (août 1519) et de Louvain (novembre 1519), et deux ans avant celle du pape (15 juin 1520 : bulle Exsurge Domine).

retour