pour revenir au menu précédent, tapez sur "retour" à la fin

Petit historique du débat sur les origines de l’homme

 

Le débat tel qu’il se poursuit aujourd’hui

Pour des raisons totalement étrangères à la recherche scientifique, les grands médias occidentaux —qui se nourrissent de polémiques, comme le panda d’eucalyptus —, ont entrepris ces derniers temps de nous rendre conscients d’une menace terrible planant sur nos têtes : des groupes de pression mal intentionnés en voudraient à la théorie de l’évolution. Ces médias, eux parfaitement bien intentionnés à les entendre, commettent en fait l’erreur symétrique à celle qu’ils dénoncent chez leurs adversaires : ils cherchent moins à vérifier la qualité de leurs arguments qu’à ridiculiser ceux de leurs contradicteurs par des raisonnements qui s’apparentent souvent à de grossiers sophismes quand ils ne sont pas tout simplement des affirmations péremptoires habituellement appuyées sur un argument d’autorité. Bien retranché derrière ses convictions, chacun dégaine son prix Nobel, son chercheur au CNRS, son juge suprême, son constitutionnaliste… : le lecteur est alors saisi d’une crainte révérencielle et n’ose plus intervenir dans un débat qui est fait pour lui échapper.

Mené au nom de la science et semblant porter sur l’évolution, ce débat poursuit en fait un autre but : il suffit de lire quelques lignes d’un article de vulgarisation, pour s’apercevoir que l’enjeu est de prouver ou de nier… l’existence de Dieu ! L’hypocrisie est arrivée à un point tel, que tous feignent de l’ignorer.

Ainsi, aux états-Unis d’Amérique, le courant dit « Intelligent design » ou « ID »[1], évite toute référence à la Bible pour exposer sa thèse, en tout point conforme à celle des « créationnistes », pour lesquels la formation de l’univers et donc de l’homme, est point par point conforme au texte de la Genèse (en fait Gn, 1, plus que Gn, 2, qui présente une autre version de la création humaine). La raison en est que, parmi d’autres jugements, la Cour suprême des états-Unis d’Amérique, a estimé en 1987 (Edwards v. Aguillard), que le Creationism Act (loi sur le créationnisme) de l’état de Louisiane était contraire au premier Amendement à la Constitution qui interdit que le Congrès ne fasse de loi « respecting an establishment of religion, or prohibiting the free exercise thereof » (ayant trait à l’établissement d’une religion ou empêchant le libre exercice de celle-ci). En 1986, le Creationism Act avait en effet interdit l’enseignement de la théorie de l’évolution dans les écoles publiques de Louisiane, si cet enseignement n’était pas au moins accompagné d’un exposé de la théorie dite de la « creation science » (science de la création). La Cour a appuyé sa décision sur le fait que la creation science est en fait une « religious doctrine » (doctrine religieuse), et ne peut donc être enseignée dans les écoles publiques au même titre qu’une « scientific theory » (théorie scientifique : en l’occurrence, celle de l’évolution). Contrairement à la façon dont les médias français se sont fait l’écho de cet arrêt de la Cour suprême[2], cette dernière n’a donc pas voulu créer de hiérarchie entre doctrine religieuse et théorie scientifique, mais seulement rappeler qu’il ne s’agit pas de la même chose !

Ce genre de bricolage est symptomatique de la façon dont les médias qui traitent de l’évolutionnisme sous l’angle idéologique envisagent le débat : on notera d’ailleurs qu’ils sont fondamentalistes à leur manière, puisqu’ils assimilent régulièrement l’évolutionnisme au darwinisme, comme si celui-ci était encore la base de la recherche actuelle ! Loin de rester dans le champ scientifique, ces médias insistent sur le fait que les théories qu’ils défendent démontreraient que l’évolution n’a pas de sens, et qu’elle n’est donc que le produit du « hasard et de la nécessité » pour reprendre le titre de l’ouvrage paru en 1970 et dû au biochimiste français, et par ailleurs prix Nobel, Jacques Monod. Ces médias ont même le toupet d’appeler à leur secours… le pape Jean-Paul II — subitement devenu leur alibi —, parce qu’il a déclaré que la théorie de l’évolution « est plus qu’une hypothèse » (Allocution devant l’Académie pontificale des sciences, Rome, 22 octobre 1996), feignant d’ignorer que, dans le même texte, le souverain pontife précisait que « les théories de l’évolution qui, en fonction des philosophies qui les inspirent, considèrent l’esprit comme émergeant des forces de la matière vivante ou comme un simple épiphénomène de cette matière, sont incompatibles avec la vérité de l’homme » (ibid.). En escamotant la pensée pontificale on prétend faire la leçon aux croyants, renvoyés dans le champ de l’irrationnel où on entend bien les cantonner.

Mais voilà, c’est déjà un sophisme, que l’on peut exprimer ainsi : les créationnistes ont tort, je suis contre les créationnistes, donc j’ai raison ! Remarquons que le sophisme fonctionne aussi dans un autre champ : l’actuel président des états-Unis d’Amérique, George Bush, est favorable au créationnisme, George Bush est abominable, dont le créationnisme est abominable ! De tels arguments affligeants forment la trame d’articles de journaux qui se veulent des références comme Le Monde ou Science & Vie : par là, ils cherchent à faire croire qu’on peut ne pas admettre toutes les conclusions des théories évolutionnistes… et ne pas être créationniste… ni même un chaud partisan de George Bush ! Ils accréditent aussi l’idée que seuls les créationnistes croient à la création divine... comme si Jean-Paul était créationniste… ou ne croyait pas en Dieu ! Les revues qui développent ce discours déshonorent la pensée et desservent la cause scientifique qu’elles prétendent défendre, continuant un procès ouvert il y a maintenant trois siècles.

 

Les origines du débat

Après que le christianisme se fût imposé en Occident, avec lui s’est imposée une version de l’origine de l’homme conforme au récit de la Genèse sans que l’on se préoccupât alors d’opérer une distinction entre l’esprit et la lettre du texte : d’une part, un être, homme et femme, à la fois fait à l’image de Dieu et radicalement différent de lui, ce que signifie l’interdit concernant l’arbre de la connaissance du bien et du mal, et, d’autre part une création en six jours. Dans cette optique, toute histoire prend la suite de l’histoire sainte, une confusion s’opérant entre les faces de l’histoire, l’une externe et l’autre interne, pour parler comme Jean Daujat (La Face interne de l’histoire, 1996). Cette pratique perdura jusqu’au XIXe siècle dans certains manuels scolaires : on en comprend le sens métaphysique mais il résiste mal à la critique historique et nombre de chrétiens avaient même fini par le perdre de vue, prenant le texte biblique au pied de la lettre.

Au XVIIIe siècle, ignorant volontairement cette dimension métaphysique, la « philosophie des Lumières » entreprit de briser le discours sacré, pour ébranler les autorités dont les bases étaient sacrées (église, royauté). Ainsi, le Français Georges Leclerc comte de Buffon (1707-1788) — dont on fait grand cas, mais qui n’était qu’un vulgarisateur —, entreprit de mettre en doute l’enseignement de l’église sur les origines, dans une apparemment fort anodine Histoire naturelle générale et particulière publiée à partir de 1749, et qui prétendait résumer les conclusions des scientifiques de son temps. Tous les éléments du débat qui se poursuit de nos jours étaient déjà présents : le vernis scientifique, la référence aux autorités… et l’entreprise de sape des fondements de la doctrine de l’église, sous couvert d’objectivité. Mais la virtuosité de l’exercice n’avait d’égal que son approximation, ce qui valut à Buffon une sévère critique d’un autre Français, le naturaliste René Ferchault de Réaumur (1683-1757), lui un authentique chercheur.

On discutait alors de la place de l’homme dans la nature, et, en 1735, le naturaliste Suédois Carl von Linné (1707-1778) inclut l’homme dans sa classification générale des êtres vivants, en genres et espèces. Restait à expliquer sa différence : le naturaliste français Jean-Baptiste de Monet chevalier de Lamarck (1744-1829) annonçait son homologue britannique Charles Darwin (1809-1882) en opposant sa théorie « transformiste » à celle dite « fixiste », dont le Français Georges Cuvier (1769-1832) était alors le plus illustre tenant. L’idée de Lamarck était que les « infusoires » ou êtres vivants primitifs, se seraient transformés progressivement par « générations directes ou spontanées », sous le double effet d’une tendance spontanée de la matière vivante au perfectionnement, et des circonstances extérieures (Philosophie zoologique, 1808). La théorie laissait encore une place à un Dieu Créateur que ne reniaient d’ailleurs pas les « philosophes des Lumières », mais dont ils avaient une conception purement intellectuelle.

D’ailleurs, quand Darwin mit en forme sa théorie De l’origine des espèces par voie de sélection naturelle, dans un ouvrage éponyme publié une première fois le 24 novembre 1859, il n’avait alors aucune prétention philosophique. C’est en réponse à la violente et malhonnête polémique que l’église anglicane lança contre lui au lendemain de la parution de son ouvrage, que Darwin finit par affirmer catégoriquement à partir de 1868, que l’homme était d’ascendance animale et qu’il n’y avait pas de cause finaliste à son apparition, achevant de mettre sa pensée en forme dans La lignée humaine, ouvrage publié en 1871 : c’est ainsi qu’on avait glissé de la sélection naturelle à la théorie de l’évolution, ladite sélection naturelle servant à expliquer ce à quoi l’intervention divine donnait jusqu’alors un sens.

À vrai dire ce ne fut pas sans hésitation, personne n’envisageant avec enthousiasme d’être ravalé au rang d’un singe, même perfectionné : c’est ainsi que, dans un premier temps, l’image de l’homme-singe servit aux caricaturistes de tous bords en mal d’inspiration, Darwin n’étant pas leur dernière victime. Il faut attendre les années 1960, pour que des idéologies se saisissent du darwinisme pour en faire une arme de combat contre la croyance : largement relayées par les médias, ces idéologies commencèrent à instiller l’idée que l’homme n’était qu’un animal, puis un animal comme un autre et finalement un animal plus nuisible qu’un autre, idée depuis reprise à leur compte par les mouvements écologistes. Souvent très complexes dans leur expression scientifique, ces thèses connurent un grand succès sous forme vulgarisée, à une époque où le genre de la science-fiction prenait son essor et permettait de faire avaler tout et n’importe quoi à un public pas toujours préparé à faire la différence entre la réalité et la fiction : en 1967 La planète des singes de Franklin Schaffner, adapté du roman écrit par Pierre Boulle en 1963, remportait ainsi un immense succès. L’informatique, grâce aux images qu’elle permet de synthétiser, a donné une ampleur sans précédent à ce type de vulgarisation : c’est ainsi que se sont multipliées les fictions de tous genres, dont la plus réussie techniquement est incontestablement L’Odyssée de l’espèce : que les faits établis s’y mélangent avec les hypothèses plus ou moins étayées n’a, semble-t-il pas ému la critique.

 

Un débat qu’il faut dépasser

Loin d’être clos, le débat sur l’évolution est donc particulièrement biaisé et suppose un sévère esprit critique pour éviter de se laisser enfermer dans les lectures réductrices du créationnisme et de l’évolutionnisme : le premier oublie le statut de la parole de Dieu, et l’autre fait du sophisme et de l’illusionnisme ses modes d’expression favoris.

Sans craindre les conclusions de la science, il faut au contraire accepter d’entrer dans l’humble démarche qu’elle propose, avec la ferme assurance « que la vérité ne peut pas contredire la vérité » (Jean-Paul II, ibid.), laissant à ceux qui veulent opposer la science à la foi, l’illusion de leur incompatibilité.

 

Michel FAUQUIER

Doctorant de l’Université de Tours

Professeur agrégé enseignant en Première supérieure (La Perverie, Nantes)

Et à l’Institut Albert-le-Grand (Les-Ponts-de-Cé)

 

retour


 

[1] L’acronyme se prononce comme le mot anglais « idea » (idée). En français, l’expression est traduite littéralement en « dessein intelligent ».

[2] Ainsi Le Monde, 22 décembre 2005, p. 7, qui confond volontairement le texte du jugement avec l’avis d’un juge Jones… qui n’est pas membre de la Cour suprême !