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Enracinement et universalité : la leçon de l’histoire

 

 

 

L’Occident a longtemps évolué dans des cadres mentaux successifs qui se fondaient sur une prétention universelle : ce fut d’abord l’Empire de Rome, cette cité monstrueuse élargie à l’échelle d’un continent et qui proclamait orgueilleusement que la Méditerranée était « sa mer », une mer pour ainsi dire réduite au rang de lac romain. Puis c’est une autre Rome qui prit le relais, plus universelle encore puisque promise à l’éternité comme saint Augustin s’employa à le démontrer à ses contemporains, traumatisés par le sac de l’Urbs en 410 par le Wisigoth Alaric : Dieu avait-il abandonné ceux qui venaient tout juste d’abandonner le paganisme ? La Cité de Dieu, ce monument de l’intelligence humaine qui s’ajoute à ceux de pierre que la première Rome avait laissé, invitait les hommes à tourner leur attention vers le cœur de l’histoire et à se détourner de ses soubresauts : « deux amours ont bâti deux cités : l’amour de soi jusqu’au mépris de Dieu, la cité terrestre, l’amour de dieu jusqu’au mépris de soi, la cité céleste. L’une se glorifie en elle-même, l’autre dans le Seigneur » (XIV, 28). Rome modèle, devenait Rome éternelle. Enfin renaissait le projet impérial qui de Charlemagne à Napoléon Ier revêtit des visages et recouvrit des contenus bien différents, mais gardait toujours en soi le rêve de l’universalité : la devise des Habsbourg, tenant du titre impérial dès la fin du XIIIe siècle, n’est-elle pas A.E.I.O.U. (Austriae Est Imperare Orbis Universo) ? La couronne fermée de l’Empereur et le globe crucifère qu’il tient en sa main, ne sont-ils pas le symbole de cette prétention à l’universalité ? Mais cet Empire, à son tour, devait tomber victime d’avoir voulu puisé ses forces en lui-même : « l’une se glorifie en elle-même… ».

Ces cadres d’universalité ayant éclaté, et leur souvenir n’étant plus visible désormais que pour les yeux de ceux que l’inculture n’a pas gagné, l’Occident se retrouve entraîné dans le tourbillon d’une vaste fuite en avant qui nie, déforme ou oublie son passé pour ne plus voir qu’un avenir promis comme radieux : c’est le même mouvement qui a animé de son enthousiasme horizontal les hommes de 1789 persuadés de fonder les bases d’un monde nouveau du fond d’une salle de jeu de paume, qui a lancé à l’assaut des jeunes consciences des premiers écoliers de la IIIe République ces « hussards noirs » instituteurs au dévouement incontestable mais bardés de leurs certitudes scientistes, ou qui, de nos jours voit des personnes « autorisées » entendre imposer l’amnésie à une Europe où le consensus mou remplacerait l’évidence des faits dans une constitution qui ressemblerait alors au plus petit dénominateur commun des mathématiciens.

C’est ainsi que l’histoire rappelle à ceux qui veulent bien écouter ses leçons, que l’universalité et l’enracinement entretiennent des liens profonds : car c’est parce qu’on ne sait plus à quoi se référer qu’on ne saisit plus à quoi servent nos racines. Alors est-ce un hasard si c’est en pleine confusion des esprits qu’éclata la voix puissante de Maurice Barrès, lors d’une conférence célèbre qu’il donna en 1889 et pour laquelle il créa le mot « racinement », finalement devenu « enracinement » ? Ce mot devait caractériser un vaste mouvement de retour aux racines, qui, de Joris-Karl Huysmans à Max Gallo, ne cesse d’enregistrer des retournement inattendus au sens certainement variable, mais qui témoignent qu’on ne peut se passer ni de référence ni de fondement, ni d’universel, ni de racines : « … l’autre se glorifie dans le Seigneur ».

 

M. Michel FAUQUIER
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