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version intégrale du texte partiellement publié sous un titre différent choisi par le rédacteur-en-chef

 

 

 

 

Saint Martin de Tours (Sabaria, c. 316- Candes, 8 novembre 397)

 

 

En des temps où l’autorité ecclésiastique était loin d’avoir donné sa forme canonique à la proclamation de la sainteté de ses fils, celle-ci était plutôt constatée qu’officialisée : il allait de soi que le saint était saint et, dans une vision providentialiste, il l’avait pour ainsi dire toujours été, ou, du moins, l’avait été depuis le moment de sa conversion. Au IVe siècle, ce cas était le plus courant dans un empire romain qui était loin d’être entièrement acquis à l’Eglise du Christ. Celui qui allait passer à la postérité sous le nom de « saint Martin de Tours », est un de ces convertis dont la sainteté éclata précocement aux yeux de ses contemporains, au point que sa première biographie, la Victa sancti Martini de Sulpice Sévère, fut non seulement composée mais aussi diffusée du vivant même de celui dont elle célébrait les vertus, comme l’atteste l’accusé de réception de l’ouvrage, rédigée au printemps 397 par l’évêque Paulin de Nole (Lettre 11), un ami de saint Martin qui l’avait guéri, et que celui-ci avait donné en exemple à Sulpice Sévère. Ce dernier ne doutait pas de la sainteté de l’évêque de Tours : quand il se rendit vers lui ce fut à la façon dont on part en pèlerinage, et, à l’issue de l’enquête qu’il fit en vue de rédiger la Vita, Sulpice Sévère se considéra comme le disciple de l’évêque de Tours. Alors, nous ne ferons pas moins que ses contemporains, et nous l’appellerons « saint Martin », comme on dit « saint Louis ».

Puisque c’est d’abord cela qui le caractérise, nous le suivrons sur les voies de la sainteté dont nous montrerons comment elle prit une figure nouvelle au seuil du Ve siècle. Puis nous verrons que cette même sainteté, loin d’effrayer ses contemporains, a joué comme un aimant qui a fait converger vers elle les humbles et les puissants. Mais la Gaule dont saint Martin était comme l’apôtre (Sulpice Sévère, Epistola, 1, 5), n’était pas assez large pour contenir pareille sainteté, laquelle se manifesta à travers l’empire romain comme nous le verrons enfin.

 

 

 

Un saint

Nous sommes particulièrement bien renseignés sur la vie de saint Martin, qui fut l’objet de quatre biographies. Deux sont dues à des contemporains : Sulpice Sévère (c. 360- c. 420 : Vita sancti Martini) et Paulin de Périgueux (début Ve siècle : De vita sancti Martini) qui lia indissolublement « un saint, un lieu et l’évêque » (Brigitte Beaujard, op. cit., p. 128). Les deux dernières biographies sont le fait de deux évêques de la génération suivante : Venance Fortunat (c. 530- c. 600 : Vita Martini) et Grégoire de Tours (c. 538-594 : Liber de virtutibus sancti Martini) lequel fit aussi allusion à saint Martin dans ses Decem libri historiarum, communément appelés Histoire des Francs. Sulpice Sévère, est par ailleurs auteur de trois lettres et trois dialogues sur saint Martin. Pour ne pas alourdir le texte qui suit, la Vita sancti Martini sera simplement appelée « Vita » et les passages cités seront réputés en être extraits, sauf mention contraire.

Tous ces écrits font ressortir une sainteté qui se lit dans chacun des actes de l’évêque de Tours, mais tout particulièrement dans celui que l’iconographie martinienne a immortalisé : le don de la « moitié » de sa « chlamyde » (media, chlamys : 3, 1-2) à un pauvre, sur le territoire de la cité d’Amiens. On donne parfois une explication byzantine à la « charité d’Amiens », sans voir qu’on efface ainsi son caractère spontané : le saint aurait manifesté sa volonté de respecter la loi selon laquelle seule la moitié du manteau lui appartenait, l’autre appartenant à l’Empereur. En fait, on ne connaît aucune loi de ce genre, et Jacques Fontaine est bien plus inspiré en disant que, par ce geste, il a bravé à la fois « le ridicule et le règlement » (op. cit., p. 482), des citoyens d’Amiens n’ayant pas manqué de se moquer de ce soldat enguenillé. S’il y a un sens à ce geste, il est symbolique : le glaive qui rompt les fibres du tissu, est l’image même de la sainteté laquelle rompt les liens avec l’esprit du monde. Jacques Fontaine a relevé combien le vocabulaire de Sulpice Sévère traduit cette radicalité du geste martinien (3, 2). La postérité devait broder sur ce tissu, si l’on peut dire : le saint est doté d’un cheval et sa chlamyde devient pourpre. Il est possible qu’il ait été à cheval, quoique la plus ancienne iconographie le représente à pied et que la Vita soit totalement muette sur ce point, mais il est absolument sûr que sa chlamyde n’était pas pourpre : un tel vêtement était réservé aux consuls, un rang qui était très loin de celui qu’avait atteint saint Martin et qu’on ne connaît d’ailleurs pas précisément. Ce qu’on sait, c’est qu’il a servi dans le corps d’élite des « scholares » (2, 2), sorte de garde impériale montée qui, comme toutes les unités d’élite, se distinguait par le port d’un manteau blanc, d’où le surnom de « candidati » (littéralement « [vêtu de] blanc ») donné à ses membres. Blanc ou pourpre, le manteau apparut comme la prémonition de la vocation de saint Martin, catéchumène allant revêtir la robe blanche du baptême, ou martyr de la charité. Pourtant, saint Martin ne s’était pas encore engagé résolument sur la voie de la première de ces vocations : en effet, la Vita fait état d’une apparition du Christ à saint Martin, la « nuit suivante » (nocte insecuta : 3, 3). Le Christ est vêtu de la moitié de manteau donnée au pauvre d’Amiens et, parlant aux anges, déclare : « Martin, encore catéchumène, m’a revêtu de ce manteau » (Martinus adhuc catechumenus hac me ueste contexit : 3, 3). Comme le note Dom Guy-Marie OURY (†) : « la parole du Christ contient un reproche voilé » (Histoire du christianisme magazine, 2, octobre 1999, p. 58) : l’interressé comprit la leçon et « se hâta de se faire baptiser » (ad baptismum conuolauit : 3, 5).

La sainteté n’est en effet pas constituée par des gestes, même s’ils coûtent, elle suppose un engagement, et c’est seulement parce que les gestes expriment un choix de vie radical qu’ils désignent un saint, chez lequel on ne croit discerner aucune distance entre ce qu’il dit et ce qu’il fait et un attachement sans partage à Dieu. C’est le refus de la compromission qui fit de Martin de Tours le saint par excellence : on connaît l’anecdote qui l’opposa au César Julien qui voulait le contraindre à continuer de porter les armes (4, 1 sq.). On connaît moins l’affaire qui l’opposa à ses collègues et à l’Empereur Maxime, à propos des Priscillianistes (cf. article infra sur les hérésies) : convoqué au procès de l’évêque d’Avila, à Trêves, saint Martin fut des très rares évêques à s’insurger contre le fait qu’un évêque pût être jugé par l’autorité séculière, et refusa qu’on fît couler le sang pour clore l’affaire. Il fallut attendre son départ pour exécuter Priscillien et six de ses disciples : révolté à l’annonce de ce forfait, saint Martin refusa d’abord de reconnaître le nouvel évêque de Trêves, Félix, parce qu’il avait été consacré, entre autres, par celui qui avait obtenu la mort de Priscillien, un certain Ithacius. Il fallut un odieux chantage de l’Empereur Maxime pour le contraindre à revenir sur sa position : si saint Martin persistait à ne pas entrer en communion avec Félix, l’Empereur poursuivrait la persécution qu’il avait déclenché dans la péninsule ibérique contre les partisans de Priscillien. Cette fois — ce fut la seule —, saint Martin recula, pour le service de la charité : toutefois, il ne signa pas l’acte de consécration et refusa obstinément de participer à une autre assemblée jusqu’à la fin de sa vie.

C’est ce même refus de la compromission qui lui fit refuser d’abandonner la vie monastique qu’il avait entâmée c. 361 à Ligugé (près de Poitiers), et qu’il continua de mener, d’abord près de son église épiscopale, puis à Marmoûtiers (déformation du latin Martini monasterium ou Maius monasterium), près de Tours. Si saint Martin avait repoussé la charge épiscopale qui lui fut finalement imposée, ce n’est pas parce que la vie de reclus lui évitait les soucis, mais parce qu’elle le détournait de sa vocation : on connaît à ce propos, la réponse célèbre qu’il adressa à ceux qui lui demandaient de poursuivre son œuvre épiscopale : « je ne repousse pas le travail » (non recuso laborem : Epistola, 3, 11). Le choix de saint Martin se comprend mieux si on le replace dans le contexte d’un Empire romain acquis au christianisme et dans lequel la voie du martyre sanglant se fermait aux chrétiens, pour lesquels il constituait le sceau de la sainteté. La question se posa alors chez les âmes d’élite, de savoir si cela n’allait pas entraîner l’affadissement de l’Eglise, un affadissement d’autant plus sensible qu’évêques et prêtres étaient désormais officiellement investis de responsabilités séculières en plus de leurs tâches pastorales traditionnelles et recevaient la gestion de temporels très importants (Luce Piétri, Histoire du christianisme…, op. cit., p. 571 sq.). Le monachisme offrait alors une voie à ceux qui refusaient cette dérive, d’autant qu’il gardait un caractère « pneumatique et charismatique » (Jacques Biarne, op. cit., p. 117) certes adapté aux hommes épris d’absolu, mais qui servait aussi de prétexte à une faune moins vertueuse, et ne permettait pas d’assurer la perennité des fondations, ce qui explique, par exemple que « la communauté fondée par Martin a complètement disparu après son départ pour l’évêché de Tours » (ibidem, p. 120) ! Paradoxalement, en acceptant la charge épiscopale, tout en ne rompant pas avec son idéal ascétique, saint Martin ouvrait la voie d’une sainteté nouvelle que le martyre sanglant ne scellait plus, mais seulement l’héroïsme des vertus.

Ses successeurs sur le siège de Tours n’eurent aucune difficulté à installer le culte d’un tel saint, lequel était déjà vénéré de son vivant : Sulpice Sévère utilise d’ailleurs le verbe « vénérer » (uenerarentur, 2, 7) pour caractériser l’attitude de ses soldats envers saint Martin, et rapporte que « tous le tenaient déjà pour saint » (sanctus iam ab omnibus habebatur : 7, 7) dès les années 360, alors qu’il avait obtenu la résurrection d’un mort, merveille qu’il réédita. C’est l’évêque Perpetuus (461-494) qui acheva de donner sa forme à ce culte, en remplaçant le modeste édifice qui abritait la dépouille de son illustre prédécesseur, par une basilique construite entre 461 et 469, et dont « la dédicace eut lieu un 4 juillet, peut-être 471 pour commémorer avec éclat le centenaire de l’avènement de Martin à l’épiscopat » (Brigitte Beaujard, op. cit., p. 127-128). C’est aussi Perpetuus qui devait lancer la pratique d’un double pèlerinage officiel correspondant aux deux natales (anniversaires) de saint Martin : le 4 juillet, date de sa consécration comme évêque et de la dédidace de la basilique Saint-Martin, et le 11 novembre, date de la translation de sa dépouille à Tours, après le règlement d’un différent avec les Poitevins (cf. article infra sur la mort de saint Martin à Candes).

 

Populaire

Ce différent, que Sulpice Sévère préfère passer sous silence tant il est rocambolesque, est un des signes de l’immense popularité de saint Martin dont la mort fut suivie d’un « deuil universel » (luctus omnium : Epistola, 3, 18). Cinq cents agglomérations et quatre mille églises paroissiales, pour l’essentiel rurales, devaient se mettre sous le patronnage de saint Martin, et Grégoire de Tours achevait son livre premier d’Histoires, ouvert par la Création, sur la mort de saint Martin : on ne pourait mieux dire combien ce dernier marqua son siècle et la postérité. Populaire, saint Martin n’était pourtant pas issu de « gens de rien » (non infimis : 2,1), mais il montra de tout temps une attirance pour ce qui était humble, allant même jusqu’à servir ses soldats, ce qui ne manqua pas de surprendre dans l’armée romaine, où ce type de comportement était totalement incongru. En cela, saint Martin allait contre les espérances de ses parents qui avaient peut-être envoyé leur fils en Italie pour parfaire son éducation et le préparer à faire de grandes choses, son père, souhaitant certainement que son fils suivrait la voie qu’il avait ouverte, lui qui finit sa carrière militaire comme « tribun » après l’avoir commencé comme « simple soldat » (miles primum, post tribunus militum : 2,2).

Mais au service des armes et à la compagnie des grands de ce monde, saint Martin préférait le service et la compagnie des pauvres, qui lui témoignèrent la plus grande affection : ainsi, le petit peuple de Tours le tira de sa retraite de Ligugé en 371 par un subterfuge — un certain Rusticius lui fit croire que sa femme était malade et réclamait son secours — l’installant de force sur le siège épiscopal de Tours, le 4 juillet de la même année. Cet enthousiasme populaire n’était toutefois pas partagé par les clercs : ceux-ci s’inquiétèrent d’avoir pour chef ou collègue, un ascète « à la mine pitoyable, aux vêtements sales et aux cheveux en désordre » (uultu despicabilem, ueste sordidum, crine deformem : 9, 3), et tentèrent de faire obstacle à sa consécration. Cette opposition des clercs devait d’ailleurs aller en croissant de façon inversement proportionnelle à la dévotion que lui vouait le peuple, Sulpice Sévère se lamentant de voir que celui que le monde entier célébrait comme supérieur à tous les autres moines, n’était pas estimé à sa juste valeur en Gaule… à cause des évêques (Dialogue, 1, 26) ! Saint Martin était en effet un reproche vivant pour ceux de ses collègues qui avaient déjà pris des habitudes de princes au IVe siècle et qui délaissaient les campagnes.

Au contraire, quand il n’acomplissait pas ses tâches épiscopales et ne s’occupait pas de sa communauté de Marmoûtiers, saint Martin parcourait les campagnes (cf. article infra sur l’évangélisation des campagnes) qu’il arrachaît au paganisme, encore très répandu (cf. article infra sur l’éradication du paganisme), et à l’arianisme, déjà très répandu (cf. article infra sur les hérésies). Ne faisant aucune concession, saint Martin ne rencontra pas que l’opposition de ses pairs, mais sa foi zélée et sans faille (destruction des temples païens, abattage des arbres sacrés) ainsi que la force des actes qu’il posait (actes de charité, résurrections, guérisons) emportaient partout l’adhésion des foules, mais aussi celle des puissants.

La réputation de saint Martin suscita ainsi l’intérêt des dynasties mérovingienne puis carolingienne, qui assurèrent le succès de l’implantation du culte martinien que les évêques n’étaient pas empressés à développer, si on excepte le cas compréhensible de l’évêque de Tours. Toutefois, il ne faut pas se méprendre : le respect qu’impose la figure de saint Martin à Clovis n’est pas calculé même si le roi franc espère un geste du saint en retour de ce respect (Grégoire de Tours, Histoires, 2, 37). De même, le succès du culte martinien ne peut être ramené à une habile construction royale, les princes n’ayant été que les catalyseurs d’un culte qui ne les avait pas attendus pour naître : personne ne força les foules à converger vers la dépouille du saint qui venait de mourir. La figure de saint Martin touchait les cœurs des plus humbles comme des princes, n’étant indifférente ou insupportable qu’aux médiocres. On comprend bien pourquoi l’épisode d’Amiens est resté le plus attaché à la geste de saint Martin, car il allie la noblesse et la misère dans un même mouvement consacré par le Christ.

 

Et européen

L’universalité de l’exemple laissé par saint Martin, s’incarna dans la dimension universelle de son action, dimension qui transparaît dès les premières lignes de la Vita : « Or donc, Martin était originaire de la ville de Sabaria, en Pannonie, mais il fut élevé en Italie à Pavie » (Igitur Martinus Sabaria Pannoniarum oppido oriundus fuit, sed intra Italiam Ticini altus est : 2, 1). Né aux marges de l’empire (actuelle Szombathely ? en Hongrie), rapidement venu en son cœur, il allait le parcourir peut-être dans son ensemble : contraint de se plier à la règle récente instituée par l’Empereur Constantin, saint Martin dut en effet effectuer son service militaire, en tant qu’il était un de ces « fils de vétérans » (ueteranorum filli : 2, 5) concernés par la loi. Il a servi en Occident, mais aussi problablement en Orient. Malgré tout, il est délicat de reconstituer son parcours militaire, à la fois à cause des réformes constantiniennes, qui aboutirent à indifférencier les différentes unités de l’armée romaine (dissolution des cohortes prétoriennes en 312, fin de la distinction entre légionnaires et auxiliaires en 325), mais plus encore à cause de l’intérêt modéré de Sulpice Sévère pour cette partie de la vie de saint Martin : ce silence mêlé d’erreurs n’a pas manqué de susciter des commentaires. En effet on admet le plus souvent la date de 356 comme celle du congé donné à saint Martin (Charles Lelong, op. cit., p. 20 sq.) : ayant commencé son service à l’âge de « quinze ans » révolus (annorum quindecim, 2, 5) selon les termes de la réforme de Constantin, il aurait donc servi pendant vingt-cinq ans, ayant quitté l’armée à l’âge de quarante ans, ce qui, une fois encore, est conforme aux usages du temps. Mais, comme la Vita précise qu’il avait « dix-huit ans » (annorum duodeuiginti, 3, 5) au moment de son baptême, saint Martin serait resté militaire vingt-deux ans après celui-ci et non « deux années environ » (biennum : 3, 6) comme le prétend Sulpice Sévère qui se croit obligé d’ajouter que ce service fut alors « seulement nominal » (solo nomine : 3, 6)… ce qu’on a bien du mal à croire, surtout quand on se rappelle qu’il s’agit de l’armée romaine, de surcroît dans des temps très agités ! On a évoqué le désir de Sulpice Sévère de minimiser l’aspect d’une vie qui paraissait bien peu en accord avec l’image traditionelle du saint : ce n’est pas impossible. Reste que si les choses se sont bien passées selon la chronologie actuellement admise, cela donne une tonalité profondément nouvelle à la voie qu’ouvre saint Martin, qui démontre ainsi qu’on peut être considéré comme un saint sans avoir subi le martyre mais aussi en ayant continué de mener longtemps une vie pour ainsi dire banale, du moins en apparence.

Consacré à Dieu, saint Martin n’allait pas pour autant arrêter ses prérégrinations : d’abord installé à Poitiers où l’avait attiré la réputation de l’évêque Hilaire, il ne devait pas tarder à repartir en Italie, avec l’espoir d’arracher les siens au paganisme, ce qu’il réussit à l’exception notable de son père. Pendant l’absence de saint Martin, Hilaire avait été contraint de quitter son siège épiscopal sous la pression des Ariens. Ne pouvant rejoindre Poitiers, saint Martin partit alors combattre d’autres Ariens, en Illyricum (sud de l’actuelle Hongrie). Mal accueilli, il se rabatit alors sur la péninsule italienne, à Milan, où la présence d’une forte minorité arienne le contraignit à se retirer un temps dans l’île Gallinara (actuelle Isolotto d’Albenga, dans le golfe de Gènes). A la nouvelle du retour en grâce d’Hilaire, il chercha à rejoindre ce dernier à Rome, mais il le rata avant de le retrouver à Poitiers. Il devait toutefois revenir encore une fois dans la péninsule italienne, où l’Empereur Valentinien l’appela en sa cour milanaise à propos de la querelle arienne. Après cela, saint Martin ne devait plus quitter les Gaules, qu’il sillona elles aussi.

 

 

 

La mort de saint Martin allait porter la notoriété de celui-ci à des sommets (cf. article infra sur la postérité de saint Martin). Une anecdote en donne la mesure : le 27 février 1594, alors qu’Henri IV dut se résoudre à ne point être sacré à Reims que ses rivaux de la famille de Guise gardait, c’est avec l’huile que la tradition désignait comme celle transmise par un ange à saint Martin pour se soigner d’une mauvaise chute, que le roi fut oint. Ainsi, celui qui n’aurait voulu que se consumer dans la solitude pour l’amour du Roi du Ciel, devenait la caution des rois de la terre qui proclamaient sa sainteté à la face du monde. Mais c’est bien du Roi du Ciel dont il resta jusqu’au bout le serviteur, lui qui répondit à ceux qui se désespéraient de le voir mourir : « laissez moi libre, mes frères, de tourner mon regard plutôt vers le ciel que vers la terre » (Sinite me, fratres, caelum potius respicere quam terram : Epistola, 3, 15).

 

 Michel FAUQUIER
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Pour aller plus loin :

Beaujard Brigitte, Le culte des saints en Gaule : les premiers temps, d’Hilaire de Poitiers à la fin du VIe siècle, coll. « Histoire religieuse de la France », Le Cerf, Paris, 2000.

Biarne Jacques, Etat du monachisme en Gaule à la fin du Ve siècle, Clovis histoire et mémoire, 1 : Clovis et son temps, l’évènement, Michel Rouche dir., Presses de l’Université de la Sorbonne, Paris, 1997, p. 115-126.

Honoré Jean (Mgr) et alii, Saint Martin de Tours : XVIe centenaire, CLD, Chambray-lès-Tours, 1996.

Lelong Charles, Martin de Tours : vie et gloire posthume, CLD, Chambray-lès-Tours, 1996.

Pietri Luce, La ville de Tours du IVe au VIe siècle : naissance d’une cité chrétienne, EFR, 69, Rome, 1983.

Pietri Luce dir., Histoire du christianisme, 3 : Les Eglises d’Orient et d’Occident (432-610), J.-M. Mayeur et alii éd., Desclée, Paris, 1998.

Sulpice Sévère, Vie de Saint Martin, 3 vol., Jacques Fontaine éd., coll. « Sources chrétiennes », 133-135, Le Cerf, Paris, 1967-1969.

 

 

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