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Françoise Gange, Le Mythe d’Europe dans la grande histoire : du mythe au continent, coll. « les chemins de la connaissance », La Renaissance du Livre, Paris, 2004, 213 pages

 

Le livre de Françoise GANGE, présentée par son éditeur comme « philosophe et diplômée en sciences sociales » (deuxième de couverture), est un ouvrage à thèse qui reprend une démonstration déjà commencée dans Les Dieux menteurs (1998, 2e éd. rev. et corr., coll. « les chemins de la connaissance », La Renaissance du Livre, Paris, 2002). Cette thèse étant ici répétée comme un refrain à peu près toutes les dix pages, il est difficile de la rater, et on peut la résumer de la façon suivante : le mythe de l’enlèvement d’Europe est le symbole d’une révolution (ou « inversion des valeurs » : passim) qui remplace la société originelle et matriarcale marquée par la douceur (« première culture », passim), par une société patriarcale caractérisée par la violence (« seconde culture », passim), et dont nous serions encore les victimes depuis « la charnière des temps historiques » (p. 9). Ce n’est finalement qu’une autre forme de la thèse du complot (une « histoire occultée » dit Françoise GANGE p. 10). Du fait de cette révolution, l’Europe « Terre du féminin » (p. 147 sq.) souffrirait d’un « déficit d’âme » (p. 161 sq. : notons que Françoise GANGE ne lève pas une ambiguïté : à la lire, cette âme serait la part féminine de l’humanité).

Admettons : mais quelle est la méthode et quels sont les arguments ? Pour la méthode, c’est clair, c’est la mythologie comparée, mais pour le reste, il est assez difficile d’y voir clair dans un discours qui mène de Sumer (passim) présentée comme pour ainsi dire la mère de tous les mythes (p. 38), au… petit chaperon rouge (p. 44), après des détours par Ibiza (p. 26), la Dordogne (p. 29), l’Egypte (p. 33), et le Népal (p. 41) pour ne citer que les destinations les plus exotiques. Cet éclectisme un peu brouillon ne prêterait qu’à sourire chez un esprit scientifique, s’il ne prétendait étayer des affirmations péremptoires, comme l’homme qui incarnerait le « principe mortel » (p. 32, 54) dans les sociétés préhistoriques, le meurtre de la mère qui n’aurait été qu’un « crime banal » (p. 48) dans la Grèce antique, Saint Louis qui aurait « pris à témoin (…) l’Arbre sacré » (p. 51) sous lequel il rendait la justice à Vincennes, « les sorcières du Moyen Age, brûlées par dizaines de milliers sur les bûchers de l’inquisition de l’Europe chrétienne » (p. 57 : sine commentaris), le « viol de la fille par son propre père » qui n’ « n’est pas une monstruosité en patriarcat » (p. 184)… Ajoutons à cela des raccourcis mal fondés (p. 60 à 63 sur la chouette, 75 à 77 sur le serpent), des amalgames et des mises en relation douteux : le « christianisme » qui aurait choisi le blanc comme « couleur » (sic) des robes de mariées parce que c’était « dans de très nombreuses cultures » celle de la mort (p. 66), la thèse selon laquelle des « Doriens patriarcaux » (passim) auraient assuré la transition vers l’ordre patriarcal, l’opposition entre une « agriculture féminine à la houe » et une « agriculture patriarcale à la charrue », l’une respectant les sols et l’autre non (p. 102), le lien indu fait entre cathares, bogomiles et béguinages (p. 161) ! À trop vouloir défendre sa thèse, Françoise GANGE discrédite son discours par ces outrances et approximations, étant vraisemblablement victime d’une documentation trop hétérogène qui semble lui avoir été pour partie transmise par Marc Peeters (de l’Université Libre de Bruxelles ?), remercié par l’auteur pour son « amicale et abondante documentation » (deuxième de couverture), mais qui n’apparaît pas dans une bibliographie finale qui ressemble surtout à un inventaire à la Prévert.

Françoise GANGE a clairement choisi son camp, celui du mythe (« voie royale vers la connaissance de la totalité de notre passé (…) récit du Réel vécu » p. 11) contre l’histoire et le « corpus universitaire patriarcal des connaissances » (p. 191), c’est son droit le plus strict même si on se doit de lui faire respectueusement remarquer que sa présentation des choses est caricaturale et qu’il existe d’autres voies de défense de la femme qui n’imposent pas l’attaque des hommes. Ce qui est inquiétant c’est que le travail de Françoise GANGE soit semble-t-il considéré par certains comme de nature « historique » (Michèle Perrot, L’Europe et les femmes, séance de l’Académie des sciences morales et politiques, 19 avril 2004) : à mon sens, il illustre plutôt le fossé qui sépare la méthode historique de celle des sciences sociales et il est caractéristique de voir que Françoise GANGE tire systématiquement plus loin qu’il ne l’avait fait, les thèses de R. GRAVES, très souvent appelées en référence, et dont on sait qu’il faudrait pourtant les utiliser avec la plus grande prudence.

Il serait cependant injuste de terminer sans dire que, sur le plan formel, le livre de Françoise GANGE, est fort bien écrit, toujours agréable à lire et fourmille d’informations qui, si elles sont prises pour elles-mêmes et bien replacées dans leur contexte, peuvent être fort utiles, en particulier pour prévenir l’homme contre toute volonté d’user de la femme comme d’un objet.

 

M. Michel FAUQUIER
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