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Peut-on dire n’importe quoi ?

À propos du « droit au blasphème » revendiqué par M. Michel Barbe

 

droit de réponse publié dans la revue Historiens & Géographes, 384, , octobre-novembre 2003, p. 576-578

 

Lors du dernier Comité national de l’A.P.H.G., tenu à Paris le 2 février 2003[1], Michel BARBE s’est laissé aller à des propos qui méritent qu’on s’y attarde. Ces propos sont à la fois scandaleux sur le fond et faux dans la forme. En effet, à cette occasion, il a affirmé — les rapporteurs disent même qu’il a « insisté » —que « la démocratie [garantit] le droit au blasphème ».

 

N’étant pas constitutionnaliste de formation, je suis allé relire notre constitution, au cas où la proclamation du « droit au blasphème » m’aurait échappé : est-il utile de préciser que ma mémoire ne me trompait pas et qu’il n’y a nulle trace d’un tel droit ? Il est vrai que Michel BARBE ne dit pas « la démocratie française » : alors peut-être existe-t-il une démocratie, dont je n’ai pas plus connaissance, qui a érigé le blasphème au niveau d’un droit ? Dans ce cas, que Michel BARBE précise quelle est cette démocratie et analyse si elle peut encore porter ce nom.

Jusqu’à preuve du contraire son propos est donc faux.

 

Mais il est bien plus que cela. Dans son dictionnaire, Emile Littré, que personne ne soupçonnera d’accointance avec les Eglises, définit déjà le blasphème comme des « paroles qui outragent la divinité, la religion ». Le même dictionnaire précise que l’on « profère » ou « vomit » des blasphèmes : ne voulant pas la mort du pécheur, je souhaite que Michel BARBE ne soit que dans le premier cas. Les dictionnaires plus récents, ceux auxquels j’imagine que nos contemporains se réfèrent pour saisir le sens actuel des mots, précisent que « par extension », le blasphème est une parole « injuste ou injurieuse » (Grand Larousse Encyclopédique), là où Littré, avec son ironie coutumière disait « par exagération », position que même le Robert, édité par la « Société du Nouveau Littré » a abandonnée, ajoutant que les synonymes de blasphème sont « imprécation, injure, insulte ».

Le propos de Michel BARBE est donc injurieux pour tous les élèves qui en auraient été victimes, et pour ceux d’entre-nous — et cette fois c’est un droit constitutionnel[2] — qui professent une croyance dans le respect d’autrui, et qui ne peuvent pas ne pas être blessés par des blasphèmes, puisqu’ils visent l’être qu’ils révèrent le plus.

 

Pour ma part, je ne ferai pas l’insulte à Michel BARBE de le croire inculte, je n’entends d’ailleurs lui faire aucune insulte : il sait évidemment le sens des mots qu’il emploie. Bien sûr, tout le monde aura saisi la fine ( ?) allusion à la loi de 1825 contre le sacrilège : puis-je respectueusement faire remarquer que nous ne sommes plus en 1825 et que personne n’estime que le législateur d’alors n’ait atteint le fond de la bêtise humaine ? Alors, en plus d’enseigner en E.C.J.S. le respect d’autrui, et la Fraternité comme un des piliers de notre société, enseignera-t-on aussi qu’on peut injurier la religion d’autrui et de son frère ?

 

Je sais que beaucoup de mes collègues s’inquiètent de voir remise en cause leur responsabilité à décider du contenu de leurs cours, étant sauf le respect des programmes officiels. Je sais que cette inquiétude est particulièrement vive en ce qui concerne le domaine religieux. Je comprends cela et je trouve bon qu’on en débatte comme on le fait habituellement si bien dans les colonnes de cette revue, et encore cette fois sous la forme de la motion sur la laïcité que j’aurais certainement votée si cela avait été en mon pouvoir[3]. En même temps, je ne cache à personne qui me le demande que je suis catholique et fier de l’être : je le dis sans acrimonie ni véhémence. Pour autant, reprenant à mon compte une belle formule de Voltaire, il y a deux choses pour lesquelles je donnerais ma vie, ce dont ceux qui me connaissent pourraient témoigner : la première, que chaque homme puisse exprimer ce qu’il pense, même si c’est « je ne crois pas en Dieu » ou « je ne comprends pas ton Eglise ». La seconde, que chaque être humain soit respecté pour lui-même et qu’il ne soit pas contraint de subir des attaques du fait de ce qu’il est ou de ce qu’il pense : alors, pas plus que le racisme ou le sexisme, je ne peux admettre que le blasphème soit un mode d’expression, et certainement pas un droit, particulièrement chez un professeur, et je serais heureux que Michel BARBE, tout en gardant ses convictions s’il le veut, fasse un geste qui apaisera ceux d’entre-nous qu’il a touchés au cœur.

 

M. Michel FAUQUIER
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[1] Cf. Historiens & Géographes, 383, juillet-août 2003, p. 12.

[2] « Le peuple français proclame solennellement son attachement aux Droits de l'homme et aux principes de la souveraineté nationale tels qu'ils ont été définis par la Déclaration de 1789, confirmée et complétée par le préambule de la Constitution de 1946 » (Préambule de la constitution de la Cinquième République). Parmi ces « Droits de l’homme », est-il utile de rappeler que figure celui de ne pas « être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l'ordre public établi par la Loi » (article 10).

[3] P. 17.