Vers 1525 - Les techniques artistiques : éloge de Michel-Ange par Paul Jove

Le Toscan Michel-Ange Buonarotti est, dans la peinture comme dans la sculpture en marbre, le plus près d’atteindre le rang des artistes antiques, selon la voix commune et selon un accord si général que les meilleurs maîtres des deux arts lui ont conféré spontanément la palme méritée.

Appelé par Jules II avec une grande dépense pour la voûte de la Chapelle Sixtine, il donna la preuve de son art parfait, terminant en peu de temps l’oeuvre immense. II la peignit, comme c’était nécessaire, penché en arrière, représentant certaines parties en retrait et comme enfoncées, avec la lumière doucement décroissante, comme pour le corps d'Holopherne en son alcôve . D’autres comme le Haman crucifié, étaient tellement poussées en relief grâce aux ombres qui suggéraient la lumière que même des artistes habiles furent induits par la réalité corporelle de l’image à considérer comme volume ce qui n’était que surface. Parmi les principales figures, il faut voir au milieu de la voûte la peinture d'un vieillard qui s’élève au ciel, dessiné avec une telle justesse des proportions que si on le regarde de différents endroits de la chapelle, il paraît toujours tourner et montre aux yeux trompés un geste différent.

Dans l’autre art aussi il acquit le plus haut éloge, lorsqu’une fois il fit un Cupidon de marbre et l’ayant enfoui quelque temps le déterra ensuite, pour que, jugeant d’après le lieu et les petites lésions qu’il avait ajoutées, on l’accepta pour antique et par un intermédiaire il l’a vendu pour un prix considérable au Cardinal Riario.

Avec une habileté encore plus réussie, il fit, de marbre de Gênes, un géant brandissant la fronde que l’on voit à Florence, à l’entrée du Palais. On lui confia ensuite le tombeau de Jules II pour lequel, ayant reçu des milliers de pièces d’or, il fit plusieurs statues colossales, si applaudies qu’il est admis que personne après les anciens n'a sculpté le marbre plus savamment et plus vite, ni fait des peintures plus proportionnées et plus gracieuses.

Par ailleurs, cet homme d’un tel esprit se montrait d'une nature si rude et si sauvage que, outre son mode de vie si incroyablement sordide, il allait presqu'à être jaloux des héritiers qui pourraient avoir son art. Car malgré les insistances pressantes des princes, il ne s’est jamais laissé convaincre de former un élève ou même d’admettre quelqu’un dans son atelier pour faire voir son travail.

Paolo Giovio, Éloge de Michel-Ange, vers 1525.

Cité dans Devèze M. et Marx R., Textes et documents d’histoire moderne,

Paris, SEDES, 1967, p. 116-117.