1470 – Lettre de Guillaume Fichet à Jean de La Pierre

Le premier livre imprimé à Paris en caractères mobiles selon le procédé de Gutenberg date de 1470 : il s’agit d’un recueil de lettres de Gasparino Barzizi de Bergame, destiné à servir de modèle de style aux jeunes gens. L’humaniste Guillaume Fichet et l’humaniste Jean Heynlin de La Pierre avaient fait venir à Paris trois typographes allemands. Ce sont eux qui imprimèrent l’ouvrage, en tête duquel Jean de La Pierre mit en guise de préface cette lettre de son ami Guillaume Fichet.

Guillaume Fichet, docteur en théologie, de Paris, Jean de La Pierre, prieur de Sorbonne, salut.

Tu viens de m'envoyer les savoureuses lettres de Gasparino de Bergame. Non seulement tu en as revu soigneusement le texte, mais il est nettement et correctement reproduit par tes imprimeurs allemands. L'auteur te doit de grands remerciements pour les longues veilles que tu as consacrées à rendre son livre parfait, de corrompu qu’il était auparavant. Mais tous les hommes savants doivent te remercier encore davantage, toi qui non seulement t'appliques à l'étude des lettres sacrées (comme t'y appellent tes fonctions), mais leur rends un signalé service en t'occupant de rétablir, dans leur pureté, les textes des auteurs latins... Sans parler de plusieurs autres grandes pertes subies par les lettres, les mauvais copistes ne sont-ils pas une des causes qui ont le plus contribué à les précipiter pour ainsi dire dans la barbarie ! Aussi quelle est ma joie de voir que tu as eu la bonne idée de chasser enfin ce véritable fléau de la ville de Paris ! Ces industriels du livre que, de ton pays d'Allemagne, tu as fait . venir en cette cité produisent des livres très corrects et conformes à la copie qui leur est livrée. Tu fais, du reste, la plus grande attention à ce qu'ils n'impriment rien sans que le texte n'ait été confronté avec tous les manuscrits que tu réunis et corriges plusieurs fois. Tu mérites les mêmes éloges que Quintilius, ce sage critique dont parle Horace, toi qui as rendu à Gasparino sa suave éloquence et qui, après avoir inspiré à la plupart des nobles esprits de cette, ville le dégoût de la barbarie, leur fais goûter une source lactée d'éloquence plus douce que le miel, dont ils s'abreuvent chaque jour davantage. Quant à moi, je te répéterai sans flatterie ce que disait Platon à la louange d'Aristote : « Ta demeure est l'asile même de l'étude et de la science ». Adieu, aime-moi comme je t'aime.

Écrit en Sorbonne par Fichet, de sa main la plus rapide.