1507 - Extraits d'une lettre d'Erasme à Alde Manuce
J'ai souvent souhaité dans mon cœur, très savant Manuce, que tout l'éclat apporté par toi aux deux littératures [grecque et latine], grâce non seulement à ton art et à tes impressions d'une finesse sans égale, mais aussi à ton génie et à ton éminente science, revienne vers toi pour te rendre l'équivalent de ce que tu as donné. Car pour ce qui concerne la gloire, il n'y a aucun doute que le nom d'Alde Manuce volera jusque dans le plus lointain avenir dans les bouches de tous ceux qui sont initiés au culte des lettres [...]. J'apprends que Platon, que tous les lettrés attendent déjà avec impatience, s'imprime chez toi en caractères grecs. J'aimerai savoir quels ouvrages de médecine tu vas imprimer [...]. Je me demande ce qui t'empêche de nous avoir donné depuis longtemps le Nouveau Testament, ouvrage capable, si je ne me trompe, de plaire à tous, et surtout à ceux de notre ordre, c'est-à-dire aux théologiens. Je t'adresse deux tragédies traduites par moi avec grande audace: tu jugeras toi-même si c'est avec assez de bonheur [...]. Les Italiens à qui je les ai montrées jusqu'à présent ne blâment point ma tentative. Josse Bade les a imprimées, assez heureusement, en ce qui le concerne, car, à l'entendre, il a déjà vendu tous les exemplaires. A vrai dire, ma réputation n'a pas été suffisamment prise en considération, car les fautes abondent et Bade se déclare prêt à réparer par une seconde édition les erreurs de la première. Mais je crains que, selon la formule de Sophocle, il ne répare le mal par le mal. J'estimerais l'immortalité accordée à mes oeuvres, si elles venaient au jour imprimées dans tes caractères, de préférence ceux qui, assez petits, sont les plus jolis de tous. Le volume ainsi serait des plus minces, et la chose réalisée à peu de frais. S'il te paraît opportun d'entreprendre l'affaire, je te fournirai gratuitement l'exemplaire corrigé que je t'envoie par ce jeune homme, à moins que tu souhaites quelques volumes en cadeau à des amis. Je ne craindrais pas d'entreprendre la chose à mes frais et à mes risques si je ne devais, dans peu de mois, quitter l'Italie [...]. Si tu as dans ta boutique quelque chose d'auteurs peu connus, tu me feras plaisir en me le faisant savoir, car ces grands savants anglais m'ont chargé de m'en informer.
Lettre d'Erasme à Alde Manuce (Bologne, 28 octobre 1507)
In Correspondance d'Érasme, t. I, 1484-1514, textes traduits et annotés par Marie Delcourt